vendredi 24 février 2023
La pluralité des religions a pour troubler le croyant. Et particulièrement le chrétien. Comme ce que chacune dit est sur des points importants contradictoire avec ce que disent les autres, c’est-à-dire incompatible, elles ne peuvent être vraies en même temps. Or il est intrinsèque à toute religion de prétendre représenter sinon la vérité toute entière, du moins d’être vraie pour l’essentiel sur son cœur de croyance.
Cette pluralité contradictoire des religions est a priori difficile à dépasser. En effet, même lorsqu’elles affirment être compatibles avec la raison, ou rationnelles, elles ne prétendent pas être démontrables, au sens d’une démonstration philosophique et encore moins scientifique. Le catholicisme, qui va le plus loin dans le sens d’une démonstration possible, limite celle-ci à la seule existence de Dieu ; mais il distingue bien le fait de conclure à l’existence de Dieu et celui d’avoir la foi. Celle-ci suppose en effet une relation à Dieu, une adhésion et une confiance en Dieu, et la reconnaissance de la Révélation biblique comme Parole de Dieu, qui sont d’une nature différente et ne reposent pas sur une démonstration rationnelle. Tout au plus est possible une argumentation de vraisemblance et de cohérence (ce qu’on appelle apologétique), mais qui n’est pas une démonstration. En bref, la foi est alors une croyance très particulière qui repose en dernière analyse sur un don de Dieu, croyance certaine puisqu’elle peut aller jusqu’au martyre, mais sans être un savoir au sens propre. Voir là-dessus mon livre Philosophie de la foi, évoqué ici :www.pierredelauzun.com/Vient-de-par.... Ou encore https://questions.aleteia.org/artic....
Il résulte de ceci qu’il n’y a pas de moyen rationnel pour déterminer directement la vérité de l’une ou de l’autre. Sachant cependant que le comparaison des doctrines et enseignements, ainsi que des comportements des fidèles ou au moins de certains, peut donner des arguments forts de plausibilité en faveur de telle ou telle religion, notamment par comparaison avec d’autres. Mais une telle démarche conduit tout au plus à en retenir une seule comme candidat possible à la vérité, pas à démontrer cette vérité.
Certains s’en tirent en renonçant à la référence même à la vérité, au sens plein de ce mot, compris comme vérité objective. La religion devient alors l’expression d’un sentiment subjectif et purement personnel. Mais outre que ce n’est pas ainsi que les religions ont été et restent comprises par la plupart des croyants, cela conduit à en changer la nature. Croire en un Dieu sauveur par exemple, c’est croire qu’Il peut sauver, effectivement, vraiment, et notamment dans la vie éternelle. Si la vie éternelle est une belle rêverie, on n’est donc en réalité plus dans le cadre d’une vrai religion. On se rabat alors sur la morale, par exemple sur la place de l’amour et de la charité dans le christianisme ; ce qui est certes estimable, mais n’exige plus la foi.
D’autres recourent à des conceptions syncrétistes comme celle de John Hick, qui postulent l’existence d’un Réalité ultime, en un sens transcendante, et dont les différentes religions ne seraient qu’une approximation ou réfraction. Mais par définition on ne saurait rien de plus de cette Réalité. Et donc on ne pourrait avoir de religion de cette Réalité, seulement des religions diverses. Mais alors comment considérer une religion particulière ? On serait obligé de n’y voir qu’un reflet, remettant en cause la plupart de ses enseignements, et de ses promesses, y compris le salut et la vie éternelle. Là aussi il n’en resterait plus grand chose de consistant.
Reste alors la seule démarche possible : chercher Dieu , ou la Vérité ou le Salut, dans les religions existantes.
Tout ceci reste vrai de religions comme le bouddhisme, même s’il prend beaucoup plus ses distances à l’égard de l’idée de vérité au sens chrétien. Ce qui fait qu’il peut s’accommoder plus facilement d’une pluralité de religions, les autres étant alors vues comme des étapes possibles et provisoires dans une série de réincarnations, ce qui n’empêche pas de parvenir au bout de celles-ci à l’Illumination, et même peut provisoirement y contribuer. Mais le bouddhisme aussi propose une voie de salut, et par là ce que le non-bouddhiste qualifiera sans hésitation de prétention à une forme de vérité.
C’est alors que certains comme encore récemment Yann Schmitt en déduisent une argumentation contre la possibilité même de la vérité en religion, et concluent à leur fausseté. En effet, disent-ils, chaque croyant croit à la vérité de sa religion, et donc à la fausseté, au moins sur des points importants, des autres. Mais ces différentes assertions sont contradictoires, sans qu’il y ait moyen de lever le dilemme. Le vrai musulman et le vrai chrétien croient tous deux fermement en un Dieu unique et transcendant, mais l’un nie la Trinité et l’Incarnation, l’autre non seulement les affirme mais en fait un point central de sa foi. Comment alors comprendre ces témoignages contradictoires ? Pour ces critiques, cela veut simplement dire qu’il n’y a pas de vérité là-dedans, simplement des vécus subjectifs. Ce raisonnement a une force incontestable dans la pratique, mais il me paraît spécieux.
Tout d’abord, on ne peut conclure de la pluralité d’expériences de foi contradictoires à l’idée qu’elles sont toutes fausses : en effet, rien ne s’oppose en termes logiques à ce qu’une seule soit vraie. Quand je dis ici qu’une seule soit vraie, cela ne signifie évidemment pas qu’elle contienne toute la vérité ; encore moins que ce que dit l’autre est tout faux. Bien au contraire, outre qu’il y a un noyau commun de préceptes à toutes les religions, elles contiennent toutes (du moins les plus significatives et durables) nécessairement un ensemble appréciable d’éléments vrais ou bons, sans quoi personne n’y adhérerait de façon durable. Il est même possible de façon non contradictoire qu’une seule soit vraie dans son message essentiel, mais que d’autres aient développé historiquement plus qu’elle tel ou tel élément en soi vrai et bon. A condition que la religion vraie soit à même d’intégrer cet élément à un moment ou un autre, sans contradiction avec le reste de son message.
Il reste cependant à rendre compte de l’existence de ces religions différentes, donnant naissance à ce qui apparaît au premier abord comme une forme de foi alternative.
Il n’est pas évident que la réponse soit la même du point de vue de chaque religion. En me situant ici dans le cadre du christianisme (plus exactement catholique) il convient de rappeler ce point sur lequel Joseph Ratzinger (Benoît XVI) insistait : le fait qu’il se présente comme religion vraie. Dans cette optique, la foi est comme on l’a dit un don de Dieu. Dès lors, la foi véritable ne peut être que chrétienne : Dieu ne va pas donner à quelqu’un une croyance en Lui qui Le présente de façon au moins en partie erronée. Concrètement, celui qui a la foi croira que Jésus Christ est Dieu, Fils du Père, mort et ressuscité pour nous sauver. La déclaration ‘Dominus Jesus’ du même auteur, approuvée explicitement par Jean-Paul II, est claire là-dessus : voir www.pierredelauzun.com/Petite-analy.... Dès lors on ne peut envisager sérieusement que l’Islam, qui nie ces faits, puisse être l’objet d’un foi don de Dieu. Même si bien sûr il contient de nombreux éléments vrais et bons. Comme le dit le document (7) : « On doit donc tenir fermement la distinction entre la foi théologale [celle du chrétien] et la croyance dans les autres religions. Alors que la foi est l’accueil dans la grâce de la vérité révélée, qui ‘permet de pénétrer le mystère, dont elle favorise une compréhension cohérente’ (Jean-Paul II, Encycl. Fides et ratio, n. 13), la croyance dans les autres religions est cet ensemble d’expériences et de réflexions, trésors humains de sagesse et de religiosité, que l’homme dans sa recherche de la vérité a pensé et vécu, pour ses relations avec le Divin et l’Absolu ».
Comment alors voir ce qu’on appelle, de façon donc discutable, la « foi » musulmane par exemple ? Si on pose, ce qui paraît évident, qu’un grand nombre de croyants musulmans sont sincères, il faut expliquer ce qui fonde cette croyance. La déclaration ci-dessus fait apparaître qu’elles sont le fruit d’une recherche humaine, recherche de Dieu qui est en soi bonne, mais qui n’a débouché dans leur cas et à ce stade que sur des vérités partielles. Mais comme l’homme est fait pour Dieu, et que sa raison le conduit en principe à conclure à l’existence de Dieu, ou au moins d’une Vérité transcendante, il n’est pas étonnant qu’il puisse développer une croyance intense et profonde dans une religion même non révélée par Dieu ; a fortiori si, comme dans le cas de l’Islam, elle reprend des éléments révélés d’origine judéo-chrétienne. Après tout d’ailleurs, on constate tous les jours dans d’autres domaines qu’il puisse y avoir intensité de croyance sincère pour une idée au moins en partie fausse. Ce qui peut d’ailleurs rendre compte du fait que la foi d’un chrétien puisse être plus tourmentée et vacillante que celle d’un musulman : ce n’est pas l’intensité subjective à un moment donné qui est l’étalon de la véracité. C’est soit les œuvres, soit l’intensité de foi au moment de l’épreuve, et le sens d’un vie donnée pour sa foi. C’est toute la différence entre le martyr chrétien, mort pour ne pas renier sa foi, et le martyr musulman, mort dans une guerre sainte.
Encore au-delà, une autre ligne d’explication est celle que je développe par ailleurs dans Le Ciel et la Forêt, tome II, Le christianisme et les autres religions. A savoir que « le christianisme fournit la clef de l’expérience religieuse de l’humanité, en cela qu’il intègre sous une forme supérieure tout ce que ces religions ont de positif, tout ce qui en elles a vraiment un sens. Et donc leur noyau de vérité. Alors qu’en sens inverse elles ne peuvent intégrer ce qui est essentiel au message chrétien. Il fournit donc la voie de la vérité la plus complète qu’il nous soit accessible de connaître ». Je renvoie ici à ce livre, ou en aperçu à www.pierredelauzun.com/Le-christian....
Mon interview sur ce sujet RCF Belgique "Pierre de Lauzun, une chronique très franche !" au 13 octobre 2023 https://www.rcf.fr/culture/1617?epi...