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Gaza, migrations : peut-on parler de conflits de civilisations ?


dimanche 10 décembre 2023









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L’actualité récente a été marquée par une recrudescence de crimes gratuits liés à l’immigration. Le milieu médiatique et politique tend à les relativiser ; l’opinion publique est bien plus sévère et inquiète ; elle reconnaît qu’il y a là un grave problème. Ces incidents entrent en outre en résonance avec la guerre en cours à Gaza.

Faut-il pour autant parler de conflit de civilisation ? de guerre civile potentielle ? C’est ce que font E. Zemmour et d’autres. Mais la réflexion montre qu’il y a danger à appliquer cette grille de lecture sur le conflit à Gaza et a fortiori sur la situation nationale française.

Il est impératif d’agir, et vite, mais sans jouer le conflit frontal.

Des conflits de civilisations au niveau international ?

Au niveau international j’ai abordé la question dans ‘Des conflits de civilisations, ou des idéologies de combat ?’ (www.pierredelauzun.com/Des-conflits...). On connaît la thèse de S. Huntington fondée sur la dominante future de ‘conflits de civilisation’. Elle suppose non seulement que plusieurs grandes civilisations garderont une forte spécificité, mais surtout que c’est leur différence qui sera le facteur principal qui déterminera à l’avenir la logique des conflits.

Mais la réflexion montre que cela ne va pas de soi, même s’il y a derrière une intuition intéressante. Le fait est que la spécificité des nations et civilisations se maintiendra voire se renforcera, plus qu’on tend à le penser. Mais d’un autre côté, ce qui structurera les rapports de force entre pays, loin d’être cette spécificité des civilisations, sera comme de temps immémorial la rivalité des puissances, qui ne coïncident pas avec les civilisations, tant s’en faut. Et si la dimension culturelle contribuera certainement à ces conflits, ce sera en général sous une autre forme que la civilisation : celle de l’idéologie. En effet, pour qu’il y ait conflit opposant des pays de civilisation différentes, perçu comme opposant deux visions du monde, il faut un support idéologique à cette opposition, et le facteur décisif sera alors cette idéologie.

Et cela reste vrai notamment dans le cas de l’islam. D’une part, il est loin d’être homogène et est susceptible de lectures assez diverses. Les fractures entre musulmans sont importantes et irréductibles. D’autre part, voir le monde comme réduit à un antagonisme global entre Islam et Occident fait courir le risque précisément de pousser le monde musulman dans la mauvaise direction.

Mais cela ne doit pas conduire à ignorer deux faits. Le premier est le très puissant ressort idéologique, présent dans l’Islam dès les origines : une valorisation du combat et de la conquête sous forme de guerre sainte qui en fait un facteur majeur de radicalisation des conflits quand il est à l’œuvre. Le deuxième est la solidarité qui naît assez naturellement dans les foules musulmanes lorsqu’elles perçoivent une attaque contre l’Ummah, la communauté censée unir tous les musulmans du monde. Ces deux ressorts ne sont pas automatiques, mais ils sont récurrents et puissants. Cela donne à l’islam une place toute particulière parmi les religions, dont aucune autre ne présente ces caractéristiques : la violence ou la solidarité peuvent évidemment y apparaître, mais elles n’y sont pas structurantes ou constitutives. Ces traits spécifiques de l’Islam ne doivent pas être ignorés, mais ils ne sont pas automatiques : la majorité des musulmans est plutôt paisible, et la solidarité atteint vite ses limites. Il faut donc éviter de nourrir ce genre de dérive.

Ceci nous met sur la piste d’un autre risque, qui est celui de l’idéologisation de l’autre camp, le camp dit occidental, notamment sous hégémonie américaine, dans la mesure où elle se veut à vocation universelle et apte à discerner seule le camp du Bien du camp du Mal, tout en instrumentalisant ces ressorts. Ce qui conduit à une forme de radicalisation ou d’antagonisation radicale, qui peut être perçue par les autres comme conflit de civilisation. On voit cette mobilisation à l’œuvre dans le cas de la guerre en Ukraine ; pourtant la dimension idéologique y est prépondérante et non le supposé conflit de civilisation, d’autant qu’Ukraine et Russie appartiennent d’évidence à la même aire de civilisation, comme Huntington le notait déjà.

Si on prend la situation à Gaza, l’extraordinaire barbarie déployée par le Hamas le 7 octobre, analogue à d’autres épisodes impliquant le monde arabo-musulman (comme les pratiques du FLN pendant la guerre d’Algérie) a conduit certains à identifier dans la guerre qui a suivi un conflit de civilisation. Ce qui est là aussi à la fois abusif et dangereux. Certes, les deux adversaires appartiennent à des ensembles civilisationnels différents, et leur opposition en porte les marques dans leurs comportements. Mais ce qui est en jeu en l’espèce est d’abord un problème très spécifique, celui de la Palestine, avec un pays pour deux peuples sans rien de commun ; un rare exemple de conflit dont il est difficile d’espérer la solution, comme je le rappelle dans mon article Le conflit israélo-palestinien : la frustration d’un conflit sans bonne solution (www.pierredelauzun.com/Le-conflit-i...). En outre, le Hamas représente un courant islamiste spécifique, celui des Frères musulmans, nullement représentatif de la grande majorité des musulmans et moins encore de leurs gouvernements, même si l’effet de solidarité au sein de l’Ummah y active les émotions collectives. Et d’ailleurs, la guerre reste à ce stade circonscrite, et ne paraît pouvoir s’étendre que si l’Iran s’y résout, mobilisant ses alliés dans la zone. Conséquemment, une des priorités des pays tiers, notamment occidentaux, est ou devrait être de souligner le besoin d’une solution équitable, et non pas de se mobiliser comme pour l’Ukraine.

Une fracture majeure dans nos pays ?

L’immigration massive et croissante que connaissent les pays d’Europe et notamment la France conduit à la cohabitation de populations appartenant à des civilisations différentes, ce qui a conduit là encore certains à évoquer le conflit de civilisations ou encore la guerre civile. Mais là encore, l’approche dans ces termes est abusive et dangereuse, même si le problème est réel et considérable.

Il est d’abord important de rappeler que les divisions au sein de nos sociétés sont majeures et très préoccupantes, en dehors de la question des migrants : ce sont des divisions idéologiques tellement fortes qu’elles s’apparentent à l’opposition de cultures différentes, comme je le souligne dans mon article Vivre ensemble ou se supporter (www.pierredelauzun.com/Vivre-ensemb...), Notamment avec l’hégémonie, croissante dans le milieu culturel et médiatique, d’une idéologie désormais wokiste, intersectionnelle ou islamogauchiste, foncièrement destructive et au fond nihiliste.

S’agissant des migrations, le risque majeur et extrêmement inquiétant est celui d’une modification en profondeur de la composition de la population, accompagnée d’un assimilation faible et d’une tendance croissante des populations concernées à ne pas s’identifier à la communauté nationale d’accueil. De plus en plus d’observateurs comme Jérôme Fourquet ont confirmé le phénomène. Or si on prolonge les courbes des chiffres, on aboutit à de fortes minorités allogènes, puis une majorité des naissances, puis une majorité tout court (voir mon article Les migrations peuvent-elles déboucher sur un changement en profondeur de la population ? www.pierredelauzun.com/Les-migratio... ). Dans ces conditions, l’effet de masse rendra plus difficile que jamais l’assimilation et même l’intégration. Au niveau politique, les émeutes de juillet 2023 nous rappellent les effets délétères de cette évolution. S’y combine un autre phénomène répété, celui des attentats islamistes, souvent au couteau.

Cumulé avec l’effet idéologique précédent, cela débouche sur la décomposition de la base même de la vie commune, comme je le montre dans Migrations, déconstructions : quel avenir pour l’identité nationale ? (www.pierredelauzun.com/Migrations-d...).

Est-il pour autant légitime de parler de conflit de civilisation ou de guerre civile ? A nouveau, le fait de la différence culturelle est bien réel, et sa persistance, voire sa radicalisation, sont des évolutions dangereuses auxquelles on ne peut en aucun cas se résigner. Notons cependant qu’il faut bien analyser ces faits.

Il faut d’abord bien comprendre le rôle respectif de l’identification culturelle ou nationale, et de l’islam. Ce dernier est évidemment directement impliqué, parce que revendiqué dans les attentats islamistes ; mais justement il s’agit de l’islamisme. Or si, comme on l’a vu, l’islam présente des caractéristiques fortes et notamment celle de nourrir à l’occasion une exaltation du combat et de la conquête, l’islamisme y reste un phénomène particulier et minoritaire : il convient donc de viser la séparation entre cette minorité islamiste et les autres musulmans et certainement pas de les amalgamer dans un même camp.

Parallèlement, l’identification nationale ou culturelle étrangère, que mettent en évidence des événements récurrents comme récemment les émeutes de juillet ou l’attaque de Crépol, n’est pas sans lien avec l’islam qui en est une dimension importante ; mais ce n’est pas directement l’islam qui paraît être à l’origine de ces événements-là. Cette identification au pays d’origine est donc un autre phénomène, qui résulte directement de l’absence d’assimilation et d’identification à la communauté nationale d’accueil.

D’où une conclusion partielle : il est important de ne pas nourrir l’identification entre religion et culture ou appartenance d’origine ; mais on ne peut pas pour autant traiter l’islam comme n’importe quelle autre religion, d’autant que l’islam contient un projet pour la société, une loi spécifique (charia). Ce qui veut dire en terme concrets que la laïcité à la française n’est souvent pas le bon outil, car elle met toutes les religions sur le même plan. Elle en fait donc selon les cas trop ou trop peu, et ne fournit pas les outils d’un traitement adéquat de l’islam. J’ai évoqué en son temps cette question dans Violence, religions et laïcité (www.pierredelauzun.com/Violence-rel...).

Que faire, au niveau interne ?

Il faut donc agir des deux côtés mais de façon distincte. D’un côté, il faut reconnaître la spécificité de l’islam, à laquelle s’ajoute dans le cas du sunnisme l’absence de structuration et donc d’organisme représentatif naturel ainsi que la présence massive d’imams étrangers plus ou moins radicaux. L’objectif est alors de donner aux musulmans paisibles un cadre à l’expression légitime de leur religion, tout en luttant activement contre les radicalismes divers, notamment les tendances islamistes, et les emprises extérieures. Il faut donc une législation spécifique à l’islam. Les juristes devront s’y faire.

DD’un autre côté, la question centrale est à la fois quantitative et culturelle. Pour faire rapide, l’urgence est évidemment d’abord à l’arrêt énergique de l’immigration. Sans cet arrêt, aucune perspective d’intégration et encore moins d’assimilation n’est crédible. Le point suivant est justement l’assimilation des populations présentes, assimilation plus qu’intégration car cette dernière peut se comprendre comme la cohabitation de communautés distinctes, du moment que cela reste dans l’ensemble paisible. Or cette perspective n’est pas crédible sur la durée. Inversement, assimilation ne signifie pas automatiquement élimination radicale de toute spécificité ; l’important est de nourrir les éléments essentiels de la culture commune d’une part, la loyauté et la fidélité à l’égard de la communauté nationale de l’autre.

Ce n’est certainement pas en brandissant le spectre de la guerre civile qu’on peut y parvenir, mais par une série de mesures exigeantes : suppression du droit du sol, perte de nationalité dans le cas de comportements dissidents (terrorisme évidemment, agitation nationaliste sur la base du pays d’origine etc.) et expulsion, contrôle lors de l’octroi de la nationalité avec périodes probatoires avant et après, etc. Plus évidemment des mesures d’aide à l’intégration puis à l’assimilation, et notamment une révision en profondeur des bases de l’éducation nationale, qui n’a plus rien de national bien au contraire.

Tout n’est donc pas faux dans le diagnostic d’Éric Zemmour, mais sa propension à la radicalité du propos et ses péchés mignons intellectuels le conduisent trop souvent à des déclarations incendiaires. Encore une fois, il faut combiner la lucidité de la pensée et la vigueur dans l’action avec la conscience du fait qu’il ne faut en aucun cas radicaliser les antagonismes, et toujours ouvrir une porte à ceux qui jouent le jeu de la solidarité nationale.


















































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