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Le conflit israélo-palestinien : la frustration d’un conflit sans bonne solution


jeudi 19 octobre 2023









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A priori le conflit israélo-palestinien paraît être l’exemple parfait d’un conflit sans bonne solution. Cela exaspère les belles âmes, mais aussi les hommes de bonne volonté. C’est pourtant la réalité qu’il faut reconnaître pour agir dans la mesure du possible.

Malgré l’actualité brûlante, nous allons essayer de l’analyser ici de la façon la plus dépassionnée possible.

Un hostilité mutuelle actuellement irréductible

La base de ce conflit est évidemment un fait simple : il y a deux peuples, et une seule terre : depuis l’arrivée des Juifs, la Shoah, la création de l’Etat d’Israël, et les guerres successives. On passera sur les péripéties : le résultat en est une haine et une méfiance réciproque toutes deux intenses. Les conflits franco-allemands ont été suivis de la paix, car les guerres les opposant prenaient une forme organisée, avec des armées régulières, pas d’une menace directe sur les personnes exercée par des membres de l’autre peuple, ce que symbolise maintenant l’attaque du Hamas d’octobre 2023. En outre la réconciliation de la France avec Allemagne a comporté la défaite de celle-ci sans sa disparition, suivie d’une repentance et d’un cadre politique totalement nouveau. L’analogie n’a pas de sens ici : les Palestiniens perdent les guerres, mais ne sont évidemment pas sur la voie d’une repentance, qui leur paraît totalement injuste.

Les luttes palestiniennes ont tendu à alterner les méthodes violentes et des périodes d’accalmie. Mais après abandon de lutte par les grands Etats arabes, le rapport de force est devenu très désavantageux pour eux ; il ne restait comme moyen de lutte que des révoltes, et le terrorisme. Comme je l’ai relevé récemment dans un article "Le paradoxe du terrorisme : révoltant, inhumain, mais en définitive inefficace" (www.pierredelauzun.com/Le-paradoxe-...), « les Palestiniens ont une longue histoire du caractère improductif de ces méthodes, compte tenu du rapport de forces. Prenons les Intifada ; elles sont intervenues alors que beaucoup de Palestiniens allaient régulièrement travailler en Israël. Non seulement donc les populations se côtoyaient, mais il pouvait assez naturellement se développer à terme une situation inextricable, où toute séparation des populations allait devenir impraticable. Compte tenu de la démographie palestinienne, cela signifiait, toujours à terme, une majorité arabe dans cet ensemble. Et donc une possibilité forte pour le côté palestinien de finir soit par l’emporter, soit par peser lourd dans un ensemble mixte. L’intifada a conduit au contraire à une séparation relativement stricte – sauvant de fait la vision d’un Israël essentiellement juif. Certes, accepter cette situation paisiblement pouvait paraître beaucoup demander au côté palestinien. Mais quand on voit la situation où ils sont maintenant, c’était certainement bien moins douloureux et désespérant ».

La logique de la guerre et ses limites en l’espèce

La situation est donc bloquée. Il ne reste que la logique de la guerre. En l’espèce, dans la phase actuelle, l’extrême violence de l’agression commise par le Hamas, notamment dans ses modalités particulièrement révoltantes et menaçantes pour la population israélienne, implique qu’il était pratiquement impossible pour l’Etat israélien de ne pas envisager une opération militaire lourde à Gaza. On n’en connaît évidemment pas le résultat à ce stade. Mais il est possible de prendre du recul et de raisonner sur les développements possibles.

On rencontre en effet la situation que j’ai décrite à propos de la guerre en Ukraine dans un article intitulé « Ukraine : la logique de la guerre ne peut être éludée – même par qui recherche la paix » (www.pierredelauzun.com/Ukraine-la-l...). Je notais les points suivants.

« La guerre a sa logique propre, et l’ignorer conduit soit à des décisions malencontreuses, soit à se lamenter dans le vide…Qui dit guerre dit choc de deux volontés en sens contraire, dont la solution est recherchée dans la violence réciproque. Par définition, cela suppose que l’une au moins des deux parties considère que ce recours à la force a un sens pour elle, et que l’autre soit ait la même perception, soit préfère résister à la première plutôt que céder. La clef de la sortie de l’état de guerre est dès lors principalement dans la guerre elle-même et son résultat sur le terrain. Mais comme la guerre est hautement consommatrice de ressources, puisque son principe est la destruction, elle a en elle-même un facteur majeur de terminaison : elle ne peut durer indéfiniment.

Le rapport de forces sur le terrain peut d’abord aboutir à la victoire d’une des deux parties, qui obtient un résultat la conduisant à cesser les opérations une fois son but atteint, ou conduisant l’autre à jeter l’éponge. Alternativement, on a une situation non conclusive, mais qui ne peut durer indéfiniment. A un moment donc les opérations s’arrêtent, et le statu quo a des chances de se stabiliser au moins pour un temps. Bien entendu, un tel arrêt des opérations n’est pas nécessairement définitif. En effet après un moment de cessation des hostilités, si le choc des volontés subsiste, la reconstruction des forces rend possible une reprise des hostilités… C’est là que les bonnes volontés, attachées à la paix, sont déçues – un peu naïvement. Leurs appels à une cessation des hostilités, si possible sans gagnant ni perdant, tombent alors presque toujours sur des oreilles sourdes. Du moins tant que la logique même du déroulement de la guerre n’y conduise. »

Nous sommes sur ce plan dans la même situation. Mais en pire : dans le cas de l’Ukraine et de la Russie, sauf hypothèse extrême, les deux Etats subsisteront à la fin des hostilités, quel qu’en soit le résultat. On peut donc envisager une situation stable à terme (ce qui ne veut pas nécessairement dire optimale ni juste).

Ce n’est pas le cas ici. En effet, d’une part Israël ne parvient pas à renoncer à la colonisation pour des raisons profondes et constitutives et d’autre part et surtout en termes de sécurité ne peut envisager de solution autre qu’une réduction des Palestiniens sur une situation de grande impuissance, qu’il est impossible d’accepter pour eux. La situation aberrante de la bande de Gaza le confirme : deux millions de personnes entassées sans perspectives ; mais les enclaves palestiniennes en Cisjordanie ne sont pas beaucoup mieux loties. Or Israël bénéficie militairement d’un rapport de forces très favorable et ne peut être battu frontalement. Résultat : les épisodes guerriers se déroulent bien selon la logique de la guerre rappelée ci-dessus, mais ne débouchent pas sur une situation stabilisable, et les hostilités reprennent tôt ou tard, y compris après des années.

Solutions à terme ?

Peut-on cependant envisager des solutions, au moins en principe ? Compte tenu de ce qui a été dit, on peut à l’évidence totalement exclure l’hypothèse d’une coexistence sur un seul Etat. Et donc comme je l’indiquais (dans ce texte sur le terrorisme), s’agissant « de la paix dans la région, pour faire simple il faudrait très probablement que coexistent deux Etats. Mais cela suppose au minimum d’un côté qu’Israël renonce à coloniser puis annexer la Cisjordanie ; et d’un autre côté que les Palestiniens renoncent à la remise en cause d’Israël. Le premier point vise l’actuelle direction israélienne, clairement déterminé à la colonisation. Mais elle a un excellent alibi : tant qu’un groupe terroriste continuera à agir et notamment contrôlera un bout de Palestine, il est désormais plus que jamais évident qu’aucun gouvernement israélien ne pourra négocier avec lui ».

Le premier point, l’arrêt de la colonisation israélienne, paraît aller de soi pour les personnes extérieures, ; il est pourtant très difficile à envisager en Israël. Et le second tombe sous le sens : la logique de l’affrontement aboutit à un durcissement des parties palestiniennes, qui deviennent d’autant moins fréquentables pour Israël. Les deux logiques se combinent d’ailleurs : de façon perverse, le pouvoir israélien (du moins celui le plus attaché à la colonisation) a intérêt à cette hostilité et a régulièrement tendu à miner les pouvoirs palestiniens les plus modérés.

Pour que la logique de la guerre en cours se déroule comme dans les guerres classiques et s’achève par une paix stable, il faudrait par exemple un scénario comme le suivant. D’une part qu’Israël, surtout s’il est gravement embourbé militairement à Gaza, conclut qu’il lui faut vraiment faire la paix, donc en laissant un territoire et des conditions de vie acceptables pour les Palestiniens. Et d’autre part que, côté palestinien, le Hamas soit suffisamment abattu pour que d’autres dirigeants émergent, avec qui une discussion soit possible. Dans l’état actuel des choses, l’une et l’autre hypothèse paraissent exclues.

On écartera également une autre hypothèse, apocalyptique : un embrasement général de la région aboutissant à la défaite d’Israël. Outre qu’elle est très peu probable à ce stade, il est exclu que les Etats-Unis acceptent une telle défaite.

Il n’y a donc qu’une alternative à la perpétuation de la situation insatisfaisante actuelle, ponctuée de conflits divers. C’est la défaite palestinienne durable : la réduction de leur espace et la fonte de leur population, à commencer par Gaza. Donc une victoire nette pour les durs en Israël. Ce n’est pas non plus l’hypothèse la plus probable (d’autant que la population palestinienne ne cesse de croître, du fait de la natalité), mais c’est en théorie concevable ; c’est donc au fond ce qu’ils cherchent à réaliser. Mais comme on le voit, c’est aléatoire et dangereux.

La leçon morale amère

Du point de vue des personnes de bonne volonté, ce constat est amer et frustrant. Il n’y a pas à vue humaine de bonne solution, de solution bonne.

Mais l’histoire est pleine de situations de ce genre.

La recherche du bien en matière de conflit international implique de prendre en compte cette réalité : dans un grand nombre de cas, sinon la majorité, on ne peut viser comme objectif une solution à la fois juste et satisfaisante ; on doit faire au mieux avec des processus largement violents et souvent injustes. Cela implique de ne plus rêver aux utopies de paix perpétuelle ou de solution internationale de type ONU. Cela ne dispense pas d’agir au mieux, mais cela montre les limites d’une telle action : le primat de la paix implique bien des concessions.


















































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