mardi 9 janvier 2024
Nous ne savons pas quand se posera la question du nom du futur pape, et peu importe ici. Mais il n’est pas sans intérêt de réfléchir sur ce que signifiera le choix qu’il fera.
Les choix récents et les précédents
Il fut un temps où ce choix était assez naturel. Pendant plusieurs siècles, les papes restaient sagement sur des prénoms de prédécesseurs, souvent des adjectifs moralisants (Innocent, Urbain, Clément etc.). Ce fut a fortiori le cas avec la série des Pie, activée avec Pie VII à la fin du XVIIIe siècle et restée prépondérante jusqu’à Pie XII, mort en 1958. La plupart des papes de cette période ont pris ce nom, et de ce fait le choix n’était pas porteur d’une signification particulière. Il y a eu certes quelques papes qui ont fait des choix différents, mais c’était sur des noms classiques de papes (Léon, Grégoire, Benoît).
En un sens Jean XXIII pouvait être interprété dans cette optique, mais avec un élément de nouveauté : un nom de pape certes (vu le chiffre) mais qui n’était plus porté depuis des siècles, et d’ailleurs pas par des papes connus. Mais comme on sait, il symbolise depuis le tournant majeur de Vatican II. Son successeur Paul VI est plus encore lié avec le Concile : il a certes choisi un nom classique, déjà porté par un pape, mais c’était il y a longtemps (XVIe s.). Dans les deux cas il semble bien que les saints de ce nom (saint Jean, saint Paul) aient eu plus d’importance dans le choix que les prédécesseurs. Continuité donc en un sens, puisque ce sont des noms de papes, mais innovation au fond. Ensuite Jean-Paul Ier a innové plus nettement, puisqu’il a fait manifestement référence à ses deux prédécesseurs, mais par la nouveauté d’un nom double. Son successeur Jean-Paul II lui a rendu ensuite hommage, après son très court pontificat.
Toute cette période pouvait donc accréditer une image combinant continuité et innovation. Seul Benoît XVI fera un choix un peu à part, reprenant un nom classique de pape, encore honoré au XXe siècle par Benoît XV, prêcheur de paix en plein conflit de 14-18 ; mais c’est aussi un nom de grand saint, saint Benoît, ce qui rappelait les choix de Jean XXIII et Paul VI.
Le choix du pape François est dans cette perspective plus original. En effet il est le premier pape depuis le premier millénaire à ne pas reprendre un nom de prédécesseur. C’est bien sûr à nouveau un nom de grand saint, saint François d’Assise, en outre cohérent avec les choix préférentiels du nouveau pape. Plus traditionnel est en revanche son choix de ne pas s’appeler François Ier, car c’est le cas de tous les papes seuls de leur nom dans les listes officielles ; il s’appellera ainsi uniquement si après lui vient un François II. Mais il résulte de tout cela un effet indéniable de nouveauté et même de familiarité, que tente d’atténuer l’appellatif ‘pape François’, parallèlement à ‘François’ tout court.
Que pourra faire le suivant ?
Il sera évidemment libre mais il est intéressant d’évaluer le poids des choix précédents, qui donnera une signification appréciable à ce que fera le nouveau pape.
Si déjà on imagine qu’il reprenne un choix de prédécesseur proche, cela sera immédiatement perçu comme une déclaration de proximité avec le pape en question : ainsi un Pie XIII, un Jean XXIV, un Paul VII, un Jean-Paul III, un Benoît XVII, un François II éventuels seront mis dans la lignée de Pie XII, Jean XXIII etc. De même sans doute, plus loin dans le temps, un Grégoire XVII, ou un Léon XIV. De toute cette série les moins surinterprétés seraient sans doute Jean XXIV (nom cité avec humour par le pape François), voire Léon XIV, mais sans être neutres.
Pour éviter cela, le recours à un pape antérieur ne donne pas une solution immédiate ; la plupart d’entre eux sont peu connus et le nom ne parlerait pas (Clément XV ? Innocent XIV ? Alexandre IX) ?). Il serait alors sans doute plus judicieux de prendre un nom qui soit aussi celui d’un saint important, comme ce fut le cas pour Jean et Paul : Nicolas VI, peut-être Etienne X (ou XI), ou mieux Martin VI seraient alors les choix les plus naturels, notamment le dernier : Martin V est le pape qui a mis fin au grand schisme.
L’autre solution est celle de François : prendre un nom sans pape prédécesseur. On pourrait imaginer tout simplement d’abord que le nouveau pape garde son prénom, cas assez normal au début de la papauté, raréfié ensuite, le dernier étant Marcel II au XVIe s. Appliqué aux derniers papes cela aurait donné en français Ange, Charles, Joseph ou Georges. C’est curieux mais concevable. Cela peut donner aussi un sens de modestie : je reste qui je suis…
Sinon reste la solution du grand saint, comme François d’Assise ; beaucoup d’entre eux n’ont pas vu leur nom repris par un pape, et cela dès les apôtres : pas de pape Joseph, Jacques, Thomas, Philippe etc. Ni d’ailleurs Michel, ou encore Augustin, Basile, Athanase, Dominique, Ignace ou autre. Mais il faudra alors expliquer le choix par les particularités du saint en question, ce qui sera moins immédiat qu’avec Jean, Paul ou François.
Comme on le voit donc, le choix reste évidemment ouvert. Mais il n’est pas neutre, et pas si facile.