mardi 10 octobre 2023
Nous sommes tous marqués par le terrible massacre du 7 octobre en Israël.
Le fait central est ce massacre de civils paisibles et sans défense à bout portant et de sang-froid, ces manifestations de mépris total des victimes ; et bien sûr la prise d’otages, qui consiste à spéculer cyniquement sur les sentiments humains de la partie adverse en ayant choisi soi-même de n’avoir aucun sentiment humain.
Devant une telle situation, l’attention prioritaire se porte évidemment d’un côté sur le drame humanitaire, et d’un autre côté sur la situation politico-militaire induite, sur place et plus largement au Proche Orient. Mais j’évoquerai ici un point plus spécifique : y a-t-il une légitimité possible au terrorisme comme forme de lutte ?
En l’espèce, certains tentent de justifier l’action qui a été menée par l’attitude d’Israël : le grignotage régulier des territoires palestiniens par la colonisation, et l’absence de perspective de paix. Ces arguments sont réels ; mais comme on le verra ils ne justifient pas le terrorisme. Plus encore, ce dernier ne pousse qu’à l’aggravation de la situation, y compris du côté de la population palestinienne. Et plus généralement, le terrorisme se révèle presque toujours comme stupidement contre-productif.
Terrorisme et théorie de la guerre juste
On dit que le terrorisme est une forme de guerre. Regardons donc lieu ce que nous dit la tradition de la guerre juste. De façon générale, telle qu’elle est développée par exemple par l’Eglise (Catéchisme au n° 2307) elle s’inscrit dans le cadre d’un légitime défense et est soumise à de « strictes conditions » : « il faut à la fois : que le dommage infligé par l’agresseur […] soit durable, grave et certain ; que tous les autres moyens d’y mettre fin se soient révélés impraticables ou inefficaces ; que soient réunies les conditions sérieuses de succès ; que l’emploi des armes n’entraîne pas des maux et des désordres plus graves que le mal à éliminer ». Cela paraît de bon sens.
L’attaque du Hamas ne répond pas à ces conditions, et notamment certainement pas aux deux dernières. Non seulement du fait du rapport de forces, qui est tel qu’il n’y a aucune chance qu’Israël recule sur quelque dimension que ce soit dans le contentieux qui l’oppose aux différentes parties palestiniennes ; mais du fait de la méthode : un terrorisme cynique, cruel et implacable.
Le seul but final acceptable est en effet une situation de paix au moins relative ; mais justement le terrorisme l’exclut : comment peut-on envisager une paix avec des gens qui pratiquent ce genre de méthodes sur des civils ? Des gens qui ne vous voient pas comme des êtres humains, mais comme des jouets vivants dont il faut exploiter la souffrance ?
L’examen des faits historiques confirme en outre que le terrorisme est une impasse, dès lors que le coût d’un abandon par l’adversaire ainsi attaqué apparaît trop élevé.
Le terrorisme comme impasse
Déjà les Palestiniens ont une longue histoire du caractère improductif de ces méthodes, compte tenu du rapport de forces. Prenons les Intifada ; elles sont intervenues alors que beaucoup de Palestiniens allaient régulièrement travailler en Israël. Non seulement donc les populations se côtoyaient, mais il pouvait assez naturellement se développer à terme une situation inextricable, où toute séparation des populations allait devenir impraticable. Compte tenu de la démographie palestinienne, cela signifiait, toujours à terme, une majorité arabe dans cet ensemble. Et donc une possibilité forte pour le côté palestinien de finir soit par l’emporter, soit par peser lourd dans un ensemble mixte. L’intifada a conduit au contraire à une séparation relativement stricte – sauvant de fait la vision d’un Israël essentiellement juif. Certes, accepter cette situation paisiblement pouvait paraître beaucoup demander au côté palestinien. Mais quand on voit la situation où ils sont maintenant, c’était certainement bien moins douloureux et désespérant.
On trouvera plus généralement très peu de cas d’un terrorisme ayant obtenu un succès quelconque, même relatif (je parle de terrorisme, pas de guérilla). Le seul qui vient naturellement à l’esprit est celui du FLN, grâce aux accords d’Evian, qui lui a donné le contrôle de l’Algérie alors même que sur le terrain militaire il était vaincu. Mais d’une part son adversaire, la France, pouvait envisager sans difficulté de vivre sans l’Algérie. D’autre part, le choix du général de Gaulle non pas de donner l’indépendance, mais de livrer ce pays au FLN, s’est révélé une tragique erreur, tant immédiatement que sur la durée. S’est installé à Alger un pouvoir tyrannique, corrompu et inefficace, dont les Algériens sont les premières victimes, et qui cultive depuis 60 ans une haine morbide de la France.
Que faire face au terrorisme ?
La réponse varie nécessairement selon les situations, et il est évidemment recommandable d’opérer le plus intelligemment possible, en gardant constamment à l’esprit que le but final est la paix, et que la paix suppose aussi des gestes appropriés : la force par elle-même ne la donne pas.
Mais il reste qu’avec les terroristes eux-mêmes, le recours déterminé à la force s’impose : ce sont en réalité des assassins plus que des combattants, et avec eux, on ne négocie pas. Encore moins avec les preneurs d’otages.
PS S’agissant de la question de la paix dans la région, pour faire simple il faudrait très probablement que coexistent deux Etats. Mais cela suppose au minimum d’un côté qu’Israël renonce à coloniser puis annexer la Cisjordanie ; et d’un autre côté que les Palestiniens renoncent à la remise en cause d’Israël. Le premier point vise l’actuelle direction israélienne, clairement déterminé à la colonisation. Mais elle a un excellent alibi : tant qu’un groupe terroriste continuera à agir et notamment contrôlera un bout de Palestine, il est désormais plus que jamais évident qu’aucun gouvernement israélien ne pourra négocier avec lui.