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Nucléaire français et défense européenne


samedi 8 mars 2025









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Devant les développements spectaculaires de la scène internationale et notamment l’évolution des Etats-Unis, les dirigeants européens cherchent frénétiquement à afficher la perspective d’une défense européenne commune autonome par rapport à ces derniers.

On peut sérieusement douter du réalisme de ce projet, et plus encore de la possibilité qu’il ait la moindre influence sur les événements de terrain avant 15-20 ans. Ne serait-ce que du fait de leurs divergences profonds d’intérêts et de priorités, de leur retard technique, de leur peu de goût pour le combat, ou encore de leur expérience passée et présente, où l’achat d’armements américains a constamment eu la priorité sur l’achat de matériels européens concurrents, notamment français.

Mais il est un point d’achoppement clef, qui se présente dès maintenant : l’armement nucléaire, essentiellement celui français (le britannique est en réalité dans les mains des Américains, au moins sur le plan technique). Emmanuel Macron avait déclaré en mai 2024, puis récemment réaffirmé, être ouvert au débat sur son inclusion dans une défense nucléaire européenne, suscitant à l’époque une réaction largement négative dans la classe politique. Il a récidivé depuis, avec une proposition qui a reçu un certain écho.

L’extrême gravité de cette perspective a été peu soulignée. Pour la défense de la France ce serait pourtant un acte mettant gravement en danger la sécurité du pays.

Il n s’agit en effet pas là de nucléaire tactique, mais du stratégique. L’arme nucléaire française est à même d’infliger des dommages très graves à un assaillant éventuel ; elle est censée par-là être à même de le dissuader d’attaquer la France. Mais si cet assaillant est lui-même une puissance nucléaire, cela implique le risque en retour de dommages dévastateurs ; pour la France. La menace d’utilisation de cette arme n’a donc de sens que par rapport à une menace portant des intérêts non seulement vitaux pour la France, mais impliquant sa survie même. Il est donc non seulement absurde mais criminel d’envisager explicitement de l’utiliser pour protéger un pays voisin, même ami, même européen. Certes, il est de la nature de cette dissuasion de ne pas être précise dans son mode d’emploi : il est donc compréhensible qu’on évite ne pas se prononcer sur ce point. Mais sur le fond, ceux qui courent le risque, c’est-à-dire les Français, doivent savoir qu’elle ne peut être mobilisée que pour les défendre, parce que ce sont eux seuls qui courent le risque de riposte. Tout autre décision d’emploi mettrait en risque les Français de façon gravissime.

A côté de cette considération majeure et décisive, on peut rappeler qu’une telle dissuasion n’a de sens que si elle dépend de la capacité de réaction rapide et immédiate du décideur. Ce ne peut donc être le fait d’une concertation à l’européenne. De fait, on nous explique que la décision resterait française. Mais en supposant qu’on fasse confiance aux macronistes sur ce point, cela implique que la dissuasion resterait en réalité française. La seule différence par rapport à la situation actuelle serait que la France déclarerait que les autres pays européens sont couverts par elle. Et on retombe sur la remarque précédente.

Ajoutons que du point de vue des autres pays européens, la protection nucléaire offerte par un autre Européen ne saurait être rassurante. Certains par exemple s’inquiètent de l’élection de Marine Le Pen (ou équivalent) en 2027 ou après. La question n’est pas ici de ce que ferait Marine le Pen, mais de la perception que les autres en ont.

Ce qu’on appelle parapluie américain n’est pas non plus garanti au niveau du nucléaire stratégique : croire que les Américains accepteraient le risque de voir New York rasé pour protéger Vilnius est d’une rare naïveté. Mais la différence avec la France est le nucléaire tactique, dont ils disposent, eux, qui est déjà prépositionné en Europe, et qui offre une étape intermédiaire, rendant beaucoup plus crédible la dissuasion au profit des Européens. Sachant cela dit que la mise en œuvre du nucléaire tactique américain en Europe ferait courir un risque appréciable de représailles à ces mêmes Européens.

Par ailleurs, du fait de l’importance centrale de la dissuasion nucléaire pour celui qui en dispose, si inversement la défense nucléaire française reste française et ne couvre que la France, la défense française ne peut pas se noyer dans une défense européenne. Et donc la notion de défense européenne intégrée ne peut être qu’une coordination intensifiée de moyens de défense ; dont le choix d’emploi reste national – ce que d’ailleurs elle devrait être. Après tout, en outre, il y a trop d’intérêts français spécifiques, notamment outre-mer, pour qu’une défense européenne vraiment intégrée puisse prendre le relais. Et il n’y a pas de raison pour que cela change, sauf à sacrifier précisément ces intérêts majeurs. En revanche bien sûr, le besoin d’accroître massivement l’effort de défense de tous est un impératif urgent.

Dit autrement, le champ que peut couvrir (tout au plus) une coopération militaire européenne est réel mais délimité, excluant les intérêts vitaux d’un côté (couverts par le nucléaire) et les intérêts spécifiques de l’autre (outre-mer et marine notamment), et laissant la liberté de l’emploi. Ce champ est réel et majeur, mais il a ses limites.




















































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