lundi 22 août 2022
La saison des jeux électoraux s’étant terminée, un bilan paraît utile, offrant en outre un éclairage sur la suite, notamment à droite.
Le jeu à 3 ou 4 blocs, nouveauté structurante
La nouveauté est bien sûr dans la structuration de l’offre politique en 3 blocs (4 si on ajoute ce qui reste de LR) eux-mêmes polarisés par l’identification de chacun à un chef, et conséquemment par le vote utile. Ce dernier a toujours existé ; il est logique dans un système électoral majoritaire, que nous avons aux présidentielles comme aux législatives avec des modalités un peu différentes. Ce système (contrairement à la proportionnelle) sélectionne une seule personne, celle qui est en tête au second tour, avec une première sélection pour y être présent. Vouloir exprimer un point de vue spécifique au premier tour peut être dès lors contreproductif, si ce faisant on divise les voix de ce qu’on considère son camp au sens large, et ne lui permet pas d’être présent au second tour.
Pourtant ce n’est que récemment que la question est devenue aiguë. De 1974 à 2017, la vie politique de la Ve République était largement bipolaire. Aux présidentielles, il y avait une quasi-certitude qu’au second tour il y aurait un candidat de ‘droite’ et un de ‘gauche’. Dès lors, à droite et au centre notamment, on pouvait se permettre d’avoir deux candidats de poids relatif appréciable (ainsi en 1969, 1974, 1981, 1988, 1995, 2007, moins nettement en 2002 et 2012). La gauche était moins à l’aise et a tendu à miser plus souvent sur un candidat dominant (sauf à l’occasion, ainsi en 1981 et 2012).
Elle a d’ailleurs appris en 2002 qu’il pouvait être désastreux d’opérer autrement, cette élection anticipant la situation actuelle puisqu’un troisième bloc (FN) y était apparu – mais à l’époque on ne l’avait pas vu venir. Montant ensuite en puissance en 2007 et 2012 avec la progression du FN, ce n’est qu’à partir de 2017 que la situation nouvelle a véritablement émergé. Cette fois, il est devenu clair qu’on avait un jeu à 3 ou 4 blocs et non plus à 2. Dès lors le vote utile a commencé à jouer un rôle important. En effet, si on a 3 ou 4 candidats comparables, capables de dépasser les 20%, mais dans un mouchoir de poche, chaque vote compte et comme on l’a dit, exprimer votre préférence pour un candidat plus petit risque de coûter la qualification pour le second tour de votre candidat de second choix. Et le vote utile des uns entraîne le vote utile des autres : si Mélenchon monte dans les sondages, on va encore plus vers Le Pen et réciproquement, ou pour d’autres vers Macron. Le phénomène a atteint son plein développement en 2022, impliquant la marginalisation de Zemmour, Pécresse, Jadot, Hidalgo et autres, dont les résultats sont très en deçà de l’audience véritable de leurs positionnements (au-delà des défauts propres de ces personnes).
En outre, le phénomène a essaimé aux législatives. Il avait été occulté en 2017 par la permanence d’un vote de légitimité en faveur du président élu, Macron, représentant de plus en l’occurrence une offre politique apparemment nouvelle. En 2022 au contraire, bien qu’élu, ce même Macron a essuyé une vague protestataire. Il reste que dans ce cadre le vote utile a de nouveau joué à plein, sur la base des têtes de file aux présidentielles. On pourrait objecter à cela le cas de LR, certes très amoindri, mais qui a survécu. Mais cela reste en fait conforme à la règle : en effet aux législatives on raisonne sur la circonscription, et grâce à son implantation LR a pu cas par cas apparaître de façon subsidiaire comme un vote utile, ou qu’on pouvait se permettre. Mais cela reste fragile.
Ce système à 3 ou 4 blocs a plusieurs autres effets ; l’un est bien sûr la faible base électorale de l’élu et donc sa faible légitimité pour agir ensuite. Un second, la probabilité d’une absence de majorité à l’Assemblée : avoir passé la course d’obstacle de la présidentielle sur une base aussi faible ne donne pas au gagnant de garantie pour les législatives qui suivent, comme on l’a vu. Un autre tropisme nouveau, qu’on oublie souvent, est le monolithisme plus grand des 3 blocs (LR mis à part). Les nuances ou diversités internes sont broyées ou relativisées, et le rôle du chef de file devient décisif. Il y a dès lors un appauvrissement sensible du débat et de la diversité.
En outre, chacun a en tête l’élection suivante. Or, en dehors des européennes de 2024, élection sans effet, la prochaine échéance en 2027 sera à nouveau le même cycle des présidentielles et législatives. Et a priori les mêmes mécanismes ont toute chance de se reproduire, même si naturellement chaque bloc évoluera, et son leader aussi. Ce sera notamment le cas de Macron qui ne pourra pas se représenter ; mais il y aura une incitation forte pour les divers aspirants à sa suite à émerger comme le seul candidat significatif de ce courant - sinon ce sera l’élimination.
Quel avenir pour la droite ?
Tout ceci n’est pas de bonne augure pour ce qu’on appelle la droite (au sens impliqué par le système électoral), malgré les apparences. Regardons en effet de plus près.
Un point important de ce côté a été la candidature surprise d’E. Zemmour, puis son échec final. Son succès initial (dont témoignent les adhésions à son parti pourtant tout neuf, et pendant un temps les sondages) confirme qu’il y a dans l’opinion un espace politique appréciable entre le RN et les LR façon UMP. Mais d’un autre côté, son échec final montre la puissance de la mécanique des blocs décrite ci-dessus, au-delà des défauts évidents du candidat (trop polémiste, pas assez politique) et des circonstances (Ukraine). Sa seule chance (et c’était son pari) eût été un effondrement du socle du RN. Mais ce socle a au contraire montré sa solidité depuis de nombreuses années. Dès lors un candidat comme lui, même s’il avait fait un sans-faute, ne pouvait récolter tout au plus que 15 à 17 % des voix, Marine Le Pen étant alors au pire reléguée autour de 15%. Il n’y aurait alors pas eu de second tour, ni pour l’un ni pour l’autre. Le mouvement réel, qui a donné un avantage décisif à Marine, a donc été assez rationnel électoralement parlant ; d’où pour Zemmour ce résultat de 7 %, pas si ridicule finalement, mais suivi par l’élimination totale aux législatives. Quant à l’idée zemmourienne d’union des droites, en théorie assez rationnelle, elle se heurtait non seulement au refus du RN et de LR, mais aussi à la contradiction entre l’affichage de cet objectif et ses attaques contre Marine Le Pen, elles-mêmes inévitables du fait de la compétition entre eux.
Au-delà de cet épisode, le fait de base est que nous avons une ‘droite’ (au sens de la logique électorale) divisée en plusieurs courants politiques hors d’état de combiner leurs forces. Et sans doute aussi de l’emporter seuls. Bien entendu, la situation peut évoluer, mais les points de départ sont peu favorables.
Le RN d’abord récuse l’idée même de droite, préférant celle de patriote – même si tout le monde le classe à ‘droite’. Corrélativement il a mis une sourdine aux thèmes marqués à droite (sociétaux notamment), voire à l’immigration, dans la recherche d’une dédiabolisation ; tout en accentuant fortement la dimension populiste au sens propre du terme, notamment en économie. Or le populisme à lui seul n’est pas une alternative véritable, faute de contenu viable, et il pousse à faire des promesses intenables sur lesquelles il sera rappelé à l’ordre par les réalités. Construit en outre de manière monolithique autour de son chef et candidate, ce parti ne tolère pas les diversités de courants, ce qui n’est pas très rassembleur. Cependant, même s’il ne s’y attendait pas, il a bénéficié pleinement de son positionnement dans le contexte électoral à 3-4 blocs que nous avons décrit, et son succès aux législatives va évidemment le conforter dans ces options. Mais comme sa possibilité de s’étendre sur la gauche est nulle, et qu’il refuse à ce stade l’ouverture à droite, son potentiel de progression sur la base de sa position actuelle reste relativement limité. Et tant qu’il restera sur cette ligne, il bloquera toute perspective côté droite.
Côté LR, c’est l’absence de choix qui domine. La tendance orléaniste et centriste l’a en général dirigé jusqu’à maintenant, mais elle n’offre pas de ligne de résistance au macronisme et se désagrège lentement. Le maintien très relatif de ses élus, dû surtout à son implantation et au rejet de Macron, reste fragile ; par ailleurs sa capacité à faire émerger un candidat aux présidentielles reste peu évidente. Parallèlement, le macronisme met son côté centriste et modéré dans une plus grande dépendance culturelle à l’égard du progressisme, bien au-delà de ce que faisait le chiraquisme en son temps. Il va donc falloir choisir. On peut imaginer un glissement plus affirmé de LR vers la droite, qui serait logique. S’il ne se produit pas, on voit en effet mal quelle peut être la base de résistance au macronisme ou à ses successeurs ; à moins que le hasard de le vie politique ne donne naissance à une résurgence du chiraquisme, ce qui ne nous avancerait pas beaucoup. Si en revanche ce glissement à droite se produisait, on peut concevoir que cela lui permette de capter une partie des forces mises en évidence par le zemmourisme, et peut être au-delà. Mais il resterait à trouver une figure de proue, et à étoffer la pensée sous-jacente. Et ensuite le succès supposerait une évolution du RN. C’est donc concevable, mais à ce stade plutôt improbable.
Côté Reconquête, le risque est évidemment de disparaître, d’autant que les seules élections d’ici 2027 sont les européennes. La perspective d’une transformation en mouvement consistant et durable n’est pas évidente (même si l’espace politique existe dans l’opinion) ; et cela supposerait des révisions importantes de style, de méthodes, et de corpus d’idées. Certes il pourrait éventuellement profiter de la déception à l’égard des deux précédents - s’ils collaborent trop avec le macronisme ou se montrent sans contenu. Mais cela reste hasardeux ; et la tête de proue qu’est E. Zemmour n’est a priori pas idéale pour vraiment percer, avec ses excès et ses tics intellectuels.
Quant à la ligne politique classique ou conservatrice, qui est au niveau des idées le vrai cœur de la ‘droite’, elle est peu ou mal représentée aujourd’hui. Le RN populiste et bonapartiste en est assez loin ; LR aussi dans une autre genre. Reconquête pouvait apparaître un peu moins éloigné, notamment par son insistance sur la réforme intellectuelle à mener. Mais outre ses limites propres, il est lui aussi assez bonapartiste - comme Zemmour le dit lui-même.
Dans tous les cas, ce qui frappe donc est la faiblesse de l’alternative réelle à droite, tant en termes de crédibilité politique que, plus encore, de contenu.
Cela dit, rien ne dure éternellement et la roue tourne…
Paru dans Politique magazine https://politiquemagazine.fr/france...