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Prophétisme, marginalité ou compromission : les dilemmes du positionnement chrétien dans nos sociétés


lundi 23 septembre 2024









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On sent depuis longtemps un malaise dans le positionnement de l’Eglise et des chrétiens face aux évolutions et problématiques de nos sociétés, entre prophétisme, compromission et marginalité. Maladresses mise à part, cela met en évidence une difficulté de fond, qu’il faut savoir reconnaître.

Historique

Commençons par un bref rappel historique. Dans l’antiquité, l’Eglise naissante n’était pas en désaccord frontal avec la société autour d’elle, du moins sur les plans politique, social, ou économique. Avec deux exceptions majeures : le point précis mais irréductible du culte impérial. Et les mœurs, mais c’était une question pour les personnes et leur conduite, pas une dispute portant sur des normes collectives.

L’affaire s’est résolue dans la religion d’Etat constantinienne, puis dans ce qu’on a appelé la chrétienté, en théorie jusqu’au XVIIIe siècle inclus. Le problème de la chrétienté est le risque d’aplatir l’un sur l’autre deux niveaux pourtant perçus comme distincts dès l’antiquité : les deux cités de saint Augustin, le fait que le chrétien est à la fois de ce monde et en dehors. Si on les aplatit l’un sur l’autre, on débouche soit sur un beau discours hors de ce monde, ou une utopie ; soit sur une surcharge totalisante pesant sur la société, qui finit par exploser. Ce qui s’est passé à la suite de la Réforme et des guerres de religion, d’où à terme un rapport différent entre le religieux et le politique.

Vers cette même époque, notamment à la fin au XVIIIe siècle, on constate en effet un considérable développement autonome du politique et de l’économique, fruits en bonne partie du christianisme, mais qui en sortent et même qui se retournent contre lui. C’est là qu’émerge le nouveau paradigme de neutralité que j’ai analysé par ailleurs (voir notamment mon Pour un grand retournement politique https://www.pierredelauzun.com/POUR...), cantonnant sous le nom d’émancipation les fins dernières et la recherche du bien et du beau dans une sphère prétendument privée où chacun est supposé se faire lui-même. D’où, au bout du processus, le relativisme de la société actuelle.

On sait que par rapport à cette évolution l’Eglise a d’abord cherché le retour à la chrétienté. D’où une période d’intransigeance relative, permettant un certain maintien, mais n’empêchant pas une érosion lente. Puis elle a admis que c’était hors de portée, de façon explicite à Vatican II. Une illusion intermédiaire a été la démocratie chrétienne, qui n’a été qu’une transition, adaptée aux années 50 et 60 du XXe siècle.

Problématique actuelle

Depuis, l’Eglise a cherché essentiellement la réconciliation avec le monde ambiant, ou au moins la conciliation. Son risque alors est de ne pas voir la divergence de fond entre son propos, par nature substantiel, et une vie collective qui est, elle, désormais de plus en plus procédurale – selon le développement du paradigme ci-dessus. Ainsi avec le mariage pour tous, ou l’euthanasie : que chacun fasse ce qui lui plaît.

Pour essayer de ne pas mettre le débat sur un terrain religieux perdu d’avance avec la déchristianisation et le relativisme ambiant, les chrétiens l’ont situé sur le terrain de la loi naturelle. Les papes eux-mêmes ont beaucoup développé cet aspect (sauf François). Intellectuellement c’est parfaitement justifié ; c’est même la seule réponse cohérente. Mais comme manière de poser le débat, la loi naturelle (et les raisonnements qui en procèdent, de près ou de loin) est en général une solution inopérante, contrairement à l’idée spontanée que c’est un lieu de dialogue avec le monde. C’est que la recherche de la loi naturelle est substantielle, elle cherche ce qui est vrai et bon en soi ; et non procédurale, au sens relativiste du terme, où on ne valorise que le fait de faire cohabiter des vues hétérogènes supposées être des droits absolus. Donc même si elle est en soi philosophique, elle ne peut entrer dans le débat philosophique et politique contemporain. C’est l’effet de ce même paradigme. Concrètement, le droit pour chacun de faire ce qu’il veut est tellement au centre de la vision commune que toute objection en termes de bien ou de mal objectif se heurte d’emblée à un obstacle insurmontable. Même avec l’euthanasie, ou l’avortement.

Des tentations

Une tentation alors en milieu chrétien, et de plus en plus dans la hiérarchie, est la voie dite prophétique. Elle consiste à ne pas assumer la problématique sociale dans son ensemble, mais à proclamer certains principes comme absolus. Ce genre de tentation est latent dans toute l’histoire chrétienne, mais son débouché antérieur était plutôt du genre utopique ; cet utopisme se retrouve encore dans le concept de ‘civilisation de l’amour’, défini comme objectif à partir de Paul VI, mais qui reste au fond abstrait.

Le prophétisme en revanche se traduit par des positions portant sur des sujets précis, traités de façon moralisante radicale. Un exemple manifeste en est le discours sur les migrants, notamment avec François, qui plaide pour un droit pratiquement absolu à la migration. Mais il conduit à un porte-à-faux avec une bonne partie du peuple chrétien, car il nie un pan essentiel de réalité. Et à son niveau d’exigence il est contradictoire avec une action politique. Et donc par-là il oublie le bien commun réel.

La démarche prophétique est plus difficile dans le champ socioéconomique. En effet, hors belles déclarations, ce n’est pas le domaine de l’absolu, ce qu’affectionne le prophétisme. Hors bien sûr les déclarations enflammées sur les ‘riches’ – ou d’autres analogues, mais qui restent peu concrètes et sans grand impact.

Que faire alors ? Certains estiment qu’il faut être « la conscience inquiète de nos sociétés ». On dit qu’on ne doit pas faire la leçon à la société, comme on l’a fait souvent par le passé, mais jouer un rôle de rappel moral. Mais la différence entre faire la leçon et se livrer à un rappel moral est faible en pratique, comme le rappelle l’exemple de l’euthanasie. Cela reste perçue par le monde ambiant comme une leçon de morale, qu’on soupçonne de source religieuse. En outre, cela ne débouche en général pas sur un positionnement politique.

En sens inverse, il ne faut pas sous-estimer les conflits que crée la rencontre avec la pensée dominante sur le débat et la problématique internes à l’Eglise. Car l’idéologie contre-attaque. Mentionnons notamment la position des femmes dans l’église, ou les revendications LGBT.

De la difficulté à évacuer complètement le substantiel

Nous avons vu les limites du dialogue, même sous l’angle apparemment prometteur de la loi naturelle. Est-on donc prisonnier de cette grande difficulté à dialoguer sérieusement ? En fait ce n’est pas complétement verrouillé.

Trois problématiques actuelles sont ici intéressantes, car malgré la dominante régnant dans la société, le substantiel y pointe au-delà du procédural : le féminisme radical, les revendications LGBT et le wokisme. Au départ, on est ici a priori et sans surprise en opposition latente avec l’Eglise. Mais ce sont aussi des dilemmes difficiles pour la société elle-même. Car précisément, si on néglige le substantiel, il se rebiffe.

Prenons le féminisme : en matière politique et législative, il a visé en dominante à ce qu’on traite les femmes plus ou moins comme les hommes. Or dans la réalité les différences existent, notamment par rapport aux enfants. En occultant le rapport différent que les femmes ont avec eux, on ne prend donc pas en compte leur situation réelle. Ce qui relève du substantiel. Dans un autre ordre d’idée, le heurt peut être frontal entre la problématique transsexuelle et la réalité des deux sexes, par exemple dans les compétitions sportives où des hommes aux gros muscles gagnent sur des femmes, ou dans l’accès d’hommes biologiques à des lieux spécifiquement féminins – qui peut être odieux. Dans d’autres cas, des hommes se disant femmes profitent d’avantages donnés aux femmes au nom du féminisme. Dans tous ces cas, la réalité (c’est-à-dire la différence) résiste à l’idéologie.

Il peut en être de même du mouvement LGBT : d’un côté, c’est l’apogée d’un certain libéralisme d’émancipation ; mais de l’autre, certains de ses effets peuvent heurter bien des gens : la GPA par exemple, aboutissant à du trafic d’enfants. Ou l’idée de familles avec deux pères ou deux mères, ce qui n’a pas de sens. Ou lorsque des gens qui sont manifestement des hommes prétendent vous obliger à les considérer comme des femmes (niant de ce fait votre propre liberté, outre le bon sens).

Le wokisme, notamment américain, offre lui aussi des exemples intéressants de dilemmes difficiles. En effet, il prétend classer les gens par catégories, les uns oppresseurs et les autres opprimés. Mais le système dominant, issu de notre paradigme, est fondamentalement individualiste et il ne sait bien traiter la notion de communauté qu’au niveau souverain, national. Il tend dès lors, notamment dans la tradition française, à refuser et nier les particularités des sous-ensembles, ce qui le met en porte à faux avec le wokisme, qui lui explique que le besoin d’émancipation est dans la logique du paradigme : s’il n’y a pas de norme ou de critère objectif, toute discrimination devient scandaleuse. Mais si au contraire, à l’anglo-saxonne, le système politique et social prend en charge ces différences au sein de la population, il sépare, discrimine, privilégie et donc va directement contre les droits des individus. En outre, cette approche n’examine pas réellement la cause réelle du statut des populations désavantagées. Certes, ce peut être parfois une discrimination de type raciste. Mais il y a en général d’autres causes et c’est celles-là qu’il faut traiter, au lieu de transformer les intéressés en revendicateurs perpétuels, ou en assistés, ce qui est désastreux pour leur progrès réel.

A un niveau plus large, nos sociétés connaissent des dérives graves directement liées à ces idéologies dominantes délétères, en premier lieu évidemment les familles décomposées, l’éducation médiocre qui en résulte, et la natalité effondrée. Mais les effets n’en seront perçus que sur la durée : dans l’intervalle, l’idéologie fait barrage à cette reconnaissance.

Conclusion

Il apparaît donc que si la domination du paradigme de neutralité sur la pensée commune rend difficile le débat par appel direct à la loi naturelle, en revanche le développement même des conséquences de ce paradigme, confronté avec la réalité, met en évidence ses contradictions de fond. Ce qui veut dire notamment ce fait simple qu’on ne construit pas une morale ni une communauté sur l’idée que le bien et le vrai relèvent de choix personnels arbitraires, ou d’une projection subjective. Et par là l’idée de loi naturelle se réintroduit sous une autre forme.

Au total, il apparaît dès lors que, même dans l’expression publique, la voie de la fidélité à l’enseignement chrétien est la plus sûre sur la durée, moyennant bien sûr dialogue intelligent avec la société, et prise de position sociale et politique réfléchie, au vue de chaque situation particulière : ni utopique, ni prophétique, ni conciliante, mais basée sur la réalité de chaque question.


















































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