dimanche 4 février 2024
La question posée rencontre un écho immédiat, car nous percevons trop souvent chez ceux qui se réclament de l’écologie la tentation de régenter la vie de leurs semblables, qui peut devenir vite liberticide.
Le cas de l’écologisme est toutefois spécifique. Ce qui le caractérise est le lien affiché entre des affirmations scientifiques et des prétentions moralisantes : c’est rare. Peu de systèmes religieux, politiques ou philosophiques moralisants se veulent scientifiques. Et une affirmation scientifique n’est en soi pas moralisante. En fait seul le marxisme a pu constituer un précédent. Mais un précédent contesté : peu de gens le considéraient scientifique. Et la grande majorité des marxistes vivaient leur engagement comme d’abord politique ou économique.
Avec l’écologisme c’est différent. Sans la prétention à un savoir d’ordre scientifique, il n’a plus de justification. Ainsi la pollution, le dérèglement d’équilibres naturels, la disparition des espèces, et bien sûr le réchauffement d’origine humaine : dans tous ces cas, le point de départ est une affirmation dont l’appréciation de véracité est d’ordre scientifique. Mais ces analyses prévoient un avenir sombre et éventuellement catastrophique, avec l’idée d’une urgence à agir. Elle sont donc pourvues d’une charge émotionnelle et moralisante intense.
Nous avons dès lors tous les ingrédients d’une motivation puissante en faveur d’un programme qui relève de l’ordre politique, mais ne résulte ni d’une délibération politique, ni d’une référence religieuse, philosophique ou autre : le point de départ se veut scientifique, mais dicte la voie à suivre au politique. Or plus que tout autre, dans notre société une affirmation d’ordre scientifique se présente comme vérité objective. On saisit alors le potentiel liberticide. Fondé ou non, le programme conduit à orienter d’autorité le comportement des gens. Et le sens de l’urgence à tenter de forcer le destin.
Bien entendu l’écologiste réel n’est pas un scientifique : il reprend telles quelles des affirmations qu’il ne veut ni ne peut vérifier. Et le scientifique, ici comme ailleurs, montre souvent une propension à défendre ses idées qui sort de la méthode scientifique. En outre, l’écologiste remet souvent en cause la science lorsqu’elle ne va pas dans son sens : rappelons le point de départ du mouvement, la lutte contre le nucléaire, fondée sur la contestation de ce qu’on appelait la science officielle. Et il déteste la technique, complément nécessaire de la science. Enfin, s’il y a des cas où les faits scientifiques sont peu contestables (la pollution, ou le réchauffement même), dans d’autres (l’origine humaine de celui-ci) on se base sur des modèles qui, même faits avec soin, ne donnent pas la même certitude scientifique que ce qu’on met habituellement sous ce nom et qui a donné son autorité à la science.
Le dilemme se corse à partir du moment où les conclusions tirées et les programmes qui s’en déduisent aboutissent à changer de façon appréciable le mode de vie, les attentes et les comportements de la population ; et cela en suivant un chemin d’adaptation qui ne va pas de soi. Ainsi la transition énergétique implique tout ensemble des inflexions massives dans les comportements et le développement de processus économiques et technologiques, qui supposeraient à la fois une adhésion large et un processus progressif, s’ajustant en permanence. Or ces besoins, inhérents à tout processus social, heurtent directement le sens de l’urgence moralisante qui caractérise l’écologisme. D’où à nouveau la tentation autoritaire.
Par ailleurs, comme on sait, l’écologisme politique est pour l’essentiel aux mains de militants de gauche, qui le fusionnent avec des préoccupations radicalement différentes, notamment sociétales, accentuant la prétention moralisante. Certes, leur anarchisme spontané limite leur efficacité politique ; dès lors, à côté de rêveries de dictature verte à base politique improbable, l’impact direct de ces mouvements reste limité, même s’il est souvent vécu par les gens comme vexatoire. Mais, plus gravement, cela conduit aussi et de plus en plus à des décisions aberrantes, résultat d’une forme de terrorisme intellectuel : ainsi l’abandon du nucléaire allemand. La pollution du débat et du processus politique résultant de cette emprise est donc bien réelle. C’est dommage, car le vrai souci écologique mérite mieux que cela.
Paru dans La Nef février 2024.