mardi 1er février 2022
Dans un billet précédent, je notais la persistance de l’hégémonie des idées dites de gauche –d’où l’emprise du ‘politiquement correct’ et le conformisme médiatique. Le glissement indéniable à droite, sur le terrain politique et sur certains thèmes comme l’immigration ou la sécurité, reste limité à certains thèmes du débat politique, ce n’est pas l’émergence d’un mode de pensée alternatif. Je rappelais qu’un vrai changement supposerait un changement de paradigme dans le mode de pensée collectif, dont on reste loin.
Dans ce contexte le phénomène Zemmour est important mais pas conclusif à soi seul. Outre qu’il reste loin d’un véritable pensée conservatrice, il incarne un retour de patriotisme sur la base d’un corpus de pensée dominant dans les années 50, comme tel souvent juste et utile. Mais il a suscité une réaction violente, qu’il aggrave par ses défauts, de la brutalité de langage à la défense d’idées contreproductives. Même s’il a les 500 signatures, ses chances sont limitées. Cela dit globalement son irruption est bénéfique. Mais qu’est-ce que cela peut donner à terme ?
Si on se base sur les données actuellement disponibles, voici ce qui me paraît le scénario le plus plausible. Même avec les 500 signatures Zemmour ne serait pas au deuxième tour. Face à E. Macron on trouverait V. Pécresse ou M. Le Pen. Et Macron les battrait. Mais Macron n’a pas créé de vrai parti implanté, et il n’aura très probablement pas de majorité à l’Assemblée ; son règne absolu et son style olympien auront donc leur fin. Pour gouverner il lui faudra un allié, et le seul qui aura les troupes pour cela, c’est LR, les Républicains. Qui ne pourront pas non plus gouverner seuls. Et donc leur alliance est très probable – comme beaucoup de gens le pressentent. A vrai dire les différences entre eux sont minces, hors la frange droite de LR. La conséquence en serait de revigorer la partie de LR que symbolise le choix de V. Pécresse ; mais en même temps d’exposer LR à un dilemme encore plus cornélien, car se mouiller plus encore avec E. Macron impliquerait de dégager dangereusement son flanc droit. Ce qui laisserait de la place pour une alternative de ce côté. Naturellement le rapport de force serait meilleur pour eux si c’est V. Pécresse qui est au second tour ; mais sans changer l’équation.
Dans ce scénario, une fois de plus M. Le Pen raterait son coup. Mais moins nettement si elle est au second tour avec 45% des voix. On peut imaginer alors qu’elle se maintienne en position en attendant 2027. Mais il n’est pas évident qu’elle profite pour autant des dilemmes de LR ; ce qui confirme l’existence d’un espace politique entre elle et LR. Si en revanche c’est V. Pécresse qui est au second tour, là le dilemme deviendrait beaucoup plus dur pour M. Le Pen, et l’espace alternatif à droite serait encore plus grand.
Comme on voit, il y a des prospectives favorables pour le développement d’un offre politique à droite qui ne serait captive ni du chiraquisme ni du lepénisme. Indéniablement E. Zemmour l’a réveillée et actualisée politiquement. Peut-il l’exploiter ultérieurement ? Cela suppose la construction sur la durée d’un mouvement politique, opération très différente tant du rôle de polémiste indépendant que de celui de candidat dans une élection hyper-personnalisée. D’autant que si c’est pour rééditer la personnalisation du pouvoir façon RN, cela ne sert à rien. Cela suppose une évolution en profondeur dans un sens pluriel et bien plus rassembleur, faisant vivre ensemble sur la durée des personnalités multiples et pouvant rayonner au-delà d’un noyau dur de passionnés. Le tout malgré des perspectives électorales longues (sauf inattendu politique), qui impliquent de durer sans se mettre une opportunité sous la dent : il n’y aura pas d’élection majeure avant la fin du quinquennat en 2027, en dehors des européennes de 2024.
Ce n’est pas en soi infaisable, mais cela supposerait une nouvelle mutation d’E. Zemmour. A moins que quelqu’un d’autre prenne le relais, en accord ou pas avec lui…
Paru dans Politique Magazine N° 210 - février 2022