samedi 18 mai 2019
Le paradigme structurant la pensée collective
Le malaise collectif en France est grand. Le besoin de nouveauté évident. Pourtant on ne décolle pas au-delà d’une relative libération sauvage de la parole à la base. Pourquoi, au-delà des hommes et de leurs limites ?
C’est à mon sens parce qu’on sous-estime grandement l’ampleur du changement à opérer. Il ne s’agit en effet pas de simples rapports de force entre des idées ou des équipes, mais de renverser les structures de pensée dominantes depuis des siècles. Plus exactement de renverser le paradigme fondateur de la société moderne, qui remonte au XVIIe siècle, celui que j’ai appelé paradigme de neutralité et qui est à la base de ce qu’on appelle aujourd’hui le relativisme, dans la phase actuelle, post-moderne, de l’histoire des idées. Un paradigme ainsi compris est ce qui structure et oriente la production même de la pensée, en éliminant les autres voies possibles. Ce paradigme en question est l’idée que l’homme peut et doit se faire lui-même, qu’il n’y a pas de bien ou de vrai objectifs autres que ce que l’homme se définit, individuellement ou collectivement. Ce qui débouche apparemment sur l’acceptation de principe de toute idée ou valeur mais conduit vite sur l’élimination de tout ce qui contredit ce principe : tout ce qui affirme telle ou telle chose comme vraie ou bonne en soi. A chaque phase de l’histoire, les conséquences de ce cadre de pensée sont allées dans le sens d’une radicalité croissante.
Mais renverser un paradigme est une opération lourde, en profondeur, et donc très lente. Cela suppose une longue lutte, mais aussi et surtout que l’échec du paradigme dominant devienne manifeste. Dans l’intervalle, la majorité des gens et surtout les systèmes de régulation collective continuent à suivre ce cadre de pensée, en allant encore plus loin à chaque fois, et en réprimant ce qui va contre.
Nous en sommes encore là avec notre paradigme. On rencontre des signes d’affaiblissement de cette emprise ; mais elle subsiste. En témoignent justement les échecs des expressions divergentes : la Manif pour tous en est un bon exemple ; on n’a en effet jamais vu des manifestations avec tant de monde, mais le message n’a pas été pris en compte. Et le mouvement de dérive s’est poursuivi avec la PMA, et bientôt la GPA. Parce que ces étapes sont dans la logique du système de pensée dominant, et que ce que dit la Manif pour tous, qui repose sur la loi naturelle, est irrecevable dans ce contexte. Un autre exemple de cette emprise est le refus du système dominant de considérer l’ampleur et la signification de l’immigration de masse que connaît l’Europe.
L’alternative véritable : la pensée classique
L’alternative est une forme de pensée intégrant les bases de notre civilisation et à valeur universelle. Le mot de ‘droite’ ne permet pas de fonder une telle alternative car la droite politique est largement un dépotoir d’anciennes gauches mêlées à des courants de pensée résiduels. Parler de ‘conservatisme’ est plus proche de l’idée. Mais ce mot ne lève pas totalement l’ambiguïté. Parce que le conservatisme glisse dans le temps et intègre avec pragmatisme certaines des idées dominantes du moment, notamment libérales. Et ce même pragmatisme ne favorise pas la conceptualisation et la lucidité.
Il faut en fait se tourner vers ce qui la véritable pensée alternative de notre civilisation, la pensée classique, celle d’Aristote ou de saint Thomas. Une partie appréciable en est d’ailleurs représentée dans ce que la tradition conservatrice a de meilleur. On y trouve d’abord l’objectivité du bien et du vrai ; l’importance centrale de la personne, qui ne se comprend que dans la communauté, et de l’éducation si elle est appropriée, humaniste. S’y ajoute la conscience que les sociétés sont des édifices complexes, construits au cours du temps et non à partir de théories abstraites. D’où l’importance d’idées peu à la mode comme la tradition (l’expérience collective) ou l’autorité bien comprise.
Revenir à cette sagesse politique suppose une réorientation majeure de notre regard pour sortir du paradigme dominant. Pour cela il faut du temps, et le débat ne suffit pas. Surtout dans un contexte spirituel comme le nôtre, où le christianisme se contracte à vue d’œil. Cela exclut de compter sur la religion à court terme.
Le point d’appui national et ses limites
Parmi les institutions qui résistent aux idées dominantes, la première est la nation. Elle reste le seul cadre significatif pour la plupart des gens, celui où nos sociétés se constituent : en droit, et pour construire une solidarité économique et sociale. Seul le principe national fait que des soldats meurent pour sauver des touristes en vadrouille. C’est en fait le seul facteur de solidarité politique agissante à l’époque actuelle.
Mais cela ne veut pas dire que les menaces contre la nation ne soient pas considérables. Citons au moins la sécession d’une partie des élites au profit d’un mondialisme abstrait, et le rêve fédéraliste européen. En outre le fait national ne donne donc pas à soi seul la réponse.
Et ce qu’on appelle le populisme encore moins. On comprend la révolte populaire contre des élites discréditées. Mais rien ne garantit qu’un tel mouvement aille dans le bon sens. Faute de cadre mental et organisationnel, le risque est une dérive anarchique. Les Gilets jaunes par exemple sont l’expression de la souffrance réelle d’une partie du peuple français, et leur action peut secouer le cocotier ; mais ce n’est pas une solution.
Que peut-on faire ?
Bien sûr il faut agir. Surtout qu’on risque d’être pris de vitesse par l’islamisation. Mais pour cela il faut d’abord être bien conscient au nom de quels principes ou valeurs on le fait. Et de l’hostilité naturelle de l’environnement ambiant.
Agir d’abord à la base. La société de demain se joue d’abord dans les familles et dans l’éducation. Et plus largement dans toutes les associations ou entreprises, toutes les communautés élémentaires.
Mais cela n’implique pas pour autant de se replier sur des affaires privées. Car il faut aussi agir au niveau politique, même européen. De nombreuses mesures urgentes à prendre, sur des enjeux de survie : immigration, culture, économie, défense etc. Encore faut-il pour cela dépasser le stade purement revendicatif et rechercher une vraie compétence au service d’une vraie créativité : ce n’est pas parce que les gens dits compétents ont fait des sottises qu’on peut se passer de la compétence. Et comme dans toute action politique jouer sur les circonstances, les organisations et les personnes.
Mais en gardant bien présent à l’esprit que ce que pourquoi on se bat est une renversement séculaire de pensée et de valeur.