samedi 2 novembre 2013
Donner est certainement un maître mot de la Bible et plus particulièrement des évangiles. Ce principe a même vocation à devenir central dans nos vies, à commencer par le don de son temps et de sa disponibilité personnelle, et il n’épargne pas non plus la vie professionnelle, y compris en entreprise. Ceci vaut bien sûr pour le chrétien, ce qui sera notre optique ici, mais aussi pour toute personne de bonne volonté, que cette réflexion peut donc intéresser.
Mais le domaine le plus immédiat d’application de ce principe est bien entendu le don personnel en argent. Apparemment simple, il pose en réalité des questions à beaucoup de personnes. Notamment dans un pays comme la France, à fiscalité élevée, et où les charges notamment familiales sont lourdes. Combien donner ? A qui ? Ce sont là des questions qu’il faut se poser. Naturellement il n’y a pas de règle fixe en la matière. Mais il me paraît utile de livrer quelques réflexions qui peuvent permettre d’éclairer la démarche de chacun.
Le premier examen est naturellement celui de la disponibilité. Il va de soi que plus on a reçu de moyens, plus on doit veiller à ce que ces moyens soient utilisés en vue du Bien commun. Le premier niveau d’obligation est celui qui résulte de notre famille, dépendant de notre position dans la société et des usages, et apprécié en conscience. Tout ce qui dépasse ce niveau doit aller à un degré ou un autre dans le sens du Bien commun et faire l’objet d’une réflexion pour prendre en compte la responsabilité correspondante.
On peut ranger ces préoccupations en deux grandes catégories : l’investissement et la générosité. L’investissement, c’est la création de moyens de production de richesse collective future. Il est donc en soi bon. On dira que l’investissement n’est pas altruiste, puisqu’il est supposé nous rapporter plus encore. Mais que cela rapporte ne diminue pas l’ordination au service du bien commun, pourvu qu’on tienne compte de critères de jugement larges, non limités au seul résultat financier, et notamment éthiques. Autant en effet il faut que certains qui ont été appelés à cela donnent tout ce qu’ils ont et se dépouillent comme il a été demandé par le Christ au jeune homme riche de l’Evangile, autant il faut que la richesse, qui est en soi utile et doit être développée, soit gérée au mieux par des gens responsables et bienveillants.
On peut rapprocher de l’investissement ainsi compris la dépense dans des domaines qui ont un effet positif sur l’orientation de l’économie et sur le type de croissance.
Il ne faut enfin pas oublier la dimension familiale de la fortune : une des raisons de leur constitution est de permettre aux générations futures de disposer de moyens qui leur permette d’agir et à leur tour de faire du bien, là aussi dans le sens du bien commun. Certains estiment qu’il n’est pas juste de faire hériter ses enfants. Outre qu’aucun texte biblique, ni la tradition des Eglises, ne va dans ce sens, cette conception, surtout américaine, méconnaît la légitimité de la communauté familiale, et la priorité au bon usage de la richesse – qui s’apprend notamment en famille.
Mais bien entendu l’autre grande catégorie d’utilisation de la richesse est ce qui relève de la générosité. Cela peut concerner de nombreuses causes d’intérêt général, et pour le chrétien d’abord ce qui va à l’Eglise, et ce qui va aux pauvres au sens large : soit en leur donnant directement des moyens, soit en finançant des œuvres qui les aident. Ils relèvent tous deux par excellence de la charité au sens véritable du terme.
Certains objecteront ici que de nos jours la redistribution étatique répond à ce besoin (du moins pour ceux qui sont dans le besoin). Elle est de fait massive, et prétend répondre à l’essentiel de ces besoins. Or ce n’est pas un vrai don puisque c’est forcé (même si en principe c’est voté et donc par là accepté). Mais c’est indéniablement massivement redistributif : celui qui les paye n’en tire en effet aucun avantage marginal réel, et cela lui coûte.
Qu’en dire ? Nous ne regarderons pas ici si c’est justifié ou pas : nous prendrons le dispositif comme un fait. Il me paraît que cela ne dispense en rien d’un effort de don personnel. D’abord cela ne saurait dispenser chacun d’un effort de réflexion sur ce qu’il a à faire, lui, avec ce qui lui reste, et notamment si on prend en cause deux considérations. La première est celle de nos responsabilités. Comme notre mérite dans la décision de prélèvement public est par définition pratiquement nul, si on veut appliquer les préceptes évangéliques de don il faut regarder ce que nous gagnons après toute fiscalité, et donner une fraction de ce montant. Il n’est en effet pas dit dans les Evangiles qu’il faut donner en fonction de ce que fait l’Etat, mais de donner de ce que nous avons à notre disposition, en fonction des besoins que nous constatons. La seconde considération est celle de la relative inefficacité de l’action publique, notamment dans le cas des exclus, pour qui le problème principal est largement la manière de s’occuper d’eux, plus qu’une augmentation des subventions ; d’où l’utilité de financer les œuvres qui apportent ce soutien humain. En outre les mailles du filet public sont pleines de trous.
Cette utilité est en outre indiscutable pour tout ce qui a une signification religieuse, tout ce qui répand l’Evangile, ce que l’Etat laïc ne finance pas.
Une autre objection possible est celle de l’océan de la misère du monde : comment espérer avoir un effet, sur le plan individuel, avec nos moyens minuscules ? Et notamment si on prend en compte la misère extrême d’une partie encore considérable du Tiers-Monde. Mais là encore dans une perspective de foi il ne faut pas s’obnubiler sur ce décalage. D’abord, naturellement, rien ne justifie de nous désintéresser des pauvres parce qu’ils sont lointains, si nous savons sans le moindre doute qu’ils sont dans un grave besoin. D’un autre côté, il est vrai que nous devons d’abord faire ce que nous avons à faire là où nous sommes, en traitant les problèmes qui se posent concrètement à nous : ce n’est pas pour rien que les Evangiles parlent de notre ‘prochain’. Mais le prochain n’est pas uniquement celui qui nous est géographiquement proche : c’est aussi quelqu’un sur qui notre attention est manifestement attirée de façon particulière, parce que nous le rencontrons, ou parce que nous sentons un appel de la Providence en ce sens : c’est qu’alors un effort spécial nous est demandé.
Quelle fraction donner ? Cela dépend évidemment de chacun, de ses charges, de son rôle dans la vie, de ses talents, bref de sa vocation, de ce que Dieu lui demande. On sait que dans certaines vocations cela peut aller jusqu’à un don très large, voire total. C’est aussi ce que faisait la pauvre veuve de l’Evangile. Mais dans le cas de celui dont la vocation est de vivre dans le monde, peut-on donner une idée, au moins pour assurer un minimum ?
Il nous semble que l’Ecriture et la tradition (y compris la pratique de l’Eglise pendant des siècles) nous donnent justement une telle référence, qui est la dîme. Elle n’est certes pas obligatoire canoniquement ; mais elle a constitué une base essentielle pendant une très grande période, et la Bible la propose avec force . Cela voudrait dire qu’il serait assez souhaitable, en première indication, de donner au minimum le dixième de ce que l’on gagne vraiment (le revenu net, après impôt).
Une question se pose alors : dans la fiscalité française les dons sont déductibles aux 2/3 (et au ¾ à l’ISF pour certains dons). Faut-il alors même ne pas déduire fiscalement pour que ce soit de ‘purs’ dons ? Je pense que non, et qu’il est en soi bon et même recommandable de déduire. D’abord parce que cela permet, à effort identique, de donner 3 ou 4 fois plus : au lieu de donner 100 € à la quête vous pouvez donner 300 au denier de l’Eglise. Ensuite parce que ce que permet la déduction fiscale c’est au fond de réorienter vers des œuvres que l’on choisit de l’argent que l’Etat utiliserait autrement. Quoi de plus juste (et sans doute de plus efficace) ?
Faut-il alors donner 10% de notre revenu, ou viser un effort de 10 % (en considérant que ce qui est déduit n’est pas un vrai don) ? Dans ce dernier cas si on continuait à déduire fiscalement on devrait donner bien plus (dans la limite du plafond fiscal). Nous pensons que la première réponse, un objectif de 10% effectivement versé à celui à qui nous donnons, est déjà un bon départ, même si l’effort ultime dans les conditions actuelles n’est alors que de 3.33 %. Car après tout c’est bien ce qui est donné, et les 6.66 % qui reste c’est de l’impôt, ce qui représente déjà un effort. Mais naturellement plus on en fait, mieux c’est !
A qui donner ? Il nous semble ici que cela dépend d’abord de notre vocation propre, c’est à dire littéralement de l’appel que Dieu nous adresse. Qui est d’ailleurs évolutif : plus on progresse dans la voie de Dieu, plus on voit son propre rapport aux richesses évoluer. Pas toujours dans le sens de l’abandon. Mais sûrement dans leur signification pour nous.
Ceci dit, une portion appréciable doit aller à nos églises, qui en France ne sont pas riches et vivent de don. L’Eglise catholique parle de 1 à 2 % du revenu. Là encore, c’est un bon point de départ.
Au-delà, c’est notre responsabilité – si nous savons rester à l’écoute de ce qui nous est demandé par Dieu. Et de même pour le choix des œuvres ; encore que privilégier les œuvres chrétiennes ou de son Eglise paraisse aussi une priorité naturelle : c’est une moyen de contribuer à signifier la Bonne nouvelle.