samedi 23 juillet 2016
Comment fiscaliser de façon juste ? En regardant quels sont les services rendus par l’Etat, et de leur impact économique, et quel en est le meilleur financement et le plus juste.
En outre, tant pour des raisons de commodité, de transparence que d’équité, les règles doivent être aussi simples et universelles que possible.
Lorsque le système public vise à assurer à tous les citoyens un service jugé essentiel (éducation de base, santé de base, sécurité au sens large, services communs de l’Etat) la prestation est la même pour tous. En revanche tous doivent contribuer en raison directe de leur capacité contributive. Il paraît alors en première approche que l’effort demandé devrait être proportionnel à la capacité de chacun à contribuer, qui se mesure par le revenu. Cela plaide pour un impôt proportionnel au revenu, à la consommation, et/ou à l’épargne. Dans le champ économique ensuite, les services rendus se mesurent au bénéfice qu’en retire le citoyen ou l’entreprise assujettis. Ce qui plaide à nouveau pour un impôt proportionnel à sa consommation ou son revenu, etc. ; car c’est relié directement à ce que le contributeur à l’impôt obtient de l’Etat. L’impôt proportionnel sur le revenu ou la dépense doit donc être la norme de départ.
S’agissant des impôts indirects (sur la consommation notamment) le même principe conduit à poser au départ que tous les produits soumis à un impôt donné (TVA notamment) doivent l’être au même taux. La seule exception qui peut se justifier viserait des besoins vraiment essentiels (qui peuvent avoir un taux allégé) : nourriture et culturel vrai. Un autre cas particulier, dans l’autre sens, est celui des taxes à finalité écologique, dont l’exemple actuel en est la taxe sur les produits pétroliers. Elles sont payées par le consommateur ou le producteur d’aujourd’hui pour compenser l’attrait économique d’un produit jugé à terme rare ou dangereux. Elles doivent être elles aussi proportionnelles et universelles pour cette catégorie de produits. Et leur produit devrait être affecté à la transition énergétique. Mais le taux peut être bien plus élevé que celui des autres produits de consommation, car il dépend d’un arbitrage spécifique entre activité économique immédiate et préservation de l’avenir.
Par ailleurs aucune création de richesse ne doit être imposée deux fois : d’où la TVA, qui est dans son principe un impôt rationnel, ou l’avoir fiscal, qui a été stupidement abrogé et qu’il faut rétablir.
Quant aux impôts locaux, notoirement irrationnels actuellement, ils devraient être replacés par une fraction d’impôts qui ont été définis au niveau national sur une base juste.
Enfin il faut sortir du financement par l’impôt les prestations même publiques qui ne sont pas considérées essentielle et utiles à tous, et dépendent des choix de l’usager. Dans ce cas ce dernier doit payer directement la prestation.
Quand doit-on faire exception au principe de proportionnalité ? On pense ici surtout à la redistribution des revenus (ou du patrimoine), si on estime que leur répartition est ‘trop’ inégale, ou comme on dit ‘injuste’. Mais que veut dire ici le terme ‘juste’ ?
Il faut rappeler d’abord la distinction classique entre justice commutative et justice distributive, qui est bien utile car on parle de choses différentes. La justice commutative (qui vise les échanges et demande l’équivalence entre service et paiement) demande que l’impôt soit proportionné au service rendu par les pouvoirs publics. C’est ce qu’on vient de voir. Dans cette optique, il n’est pas immoral mais juste que certains aient des revenus élevés du moment qu’ils sont légitimes (cette légitimité en revanche peut être contestée, si on estime qu’il n’y a pas de vrai service rendu).
En termes de justice distributive, on considère ce que chacun retire de sa participation à la communauté que tous forment, et on souhaite que cela soit suffisant ou adapté. Mais cela n’abolit pas la justice commutative et il faut donc combiner les deux notions. Quand on parle d’injustice sociale on se réfère à une certaine idée de la justice distributive et on estime qu’une situation donnée est « trop » inégale. Mais cela peut vouloir dire deux choses assez différentes.
Soit on pense que certains manquent de biens qu’on juge essentiels à qui est membre d’une communauté donnée. Si c’est vrai, il y a effectivement manquement à la justice. Dans ce cas, un impôt progressif, en sus de l’imposition proportionnelle qu’on a évoquée, peut être justifié ; mais c’est alors dans les limites du besoin en question, et pourvu que l’action publique ainsi financée soit efficace et non pas contre-productive. Donc exclusivement pour financer la solidarité avec les plus pauvres ou des besoins analogues.
Soit on estime que les différences entre citoyens, soit sur leurs revenus, soit leur patrimoine, sont de façon générale ‘excessives’, ou qu’elles s’accroissent anormalement, et cela non pas par référence aux plus défavorisés, mais en considérant plutôt la part de ceux qui se trouvent en haut de l’échelle, qu’on veut alors réduire. Du point de vue de la justice il n’est pas possible de donner une réponse univoque à cette question ; elle dépend de la situation considérée, et repose sur un jugement de prudence politique.
Ceci dit, même dans ce cas il y a des limites à une telle redistribution. On sait qu’une imposition excessive devient rapidement contre-productive en termes d’efficacité économique. Mais il y a aussi des limites éthiques à une telle redistribution. D’abord la justice commutative ne serait pas respectée si on privait quelqu’un de façon excessive du fruit de son travail. Ensuite le souci de la subsidiarité demande que l’impôt ne remette pas en cause le principe de l’initiative des personnes et de leurs sociétés. Cela paraît mettre un plafond au niveau de l’imposition globale d’un contribuable. On a évoqué ici ou là le niveau de 50 % du revenu comme plafond à l’ensemble des impôts directs. Cela paraît raisonnable.
Une troisième limite s’exprime en termes de mesure. Il faut qu’il y ait une forme de proportionnalité entre ce qu’on enlève aux uns et ce qu’on donne aux autres. Ponctionner massivement certains contribuables sans effet significatif pour les autres, parce que le produit est noyé dans la masse, ne peut être justifié par l’idée de justice, si ce que détient ou gagne le contribuable est légitime. La supertranche française de 75 %, visant à effectuer une ponction très forte voire confiscatoire sur les intéressés, pour un produit extrêmement limité en valeur absolue, était de ce point de vue non seulement contre-productive, mais inique.
En résumé on en arrive à un impôt proportionnel, avec un élément de redistribution sur les tranches plus élevées, mais principalement dédié à la redistribution vers les plus pauvres, sauf inégalités criantes et disproportionnées. Le taux de cet impôt varie selon le niveau souhaité de dépenses publiques. En tout état de cause le total prélevé sur une personne ou un foyer est plafonné, sans doute à 50 % du revenu réel.
L’impôt sur le revenu pose plusieurs autres questions éthiques.
En principe d’abord, tous les revenus doivent être traités de la même façon. Tous les dispositifs d’allégement (les niches au sens large) doivent donc être supprimés, dès lors qu’ils sont un instrument d’interventionnisme public et non de justice fiscale . Sachant en même temps que tout ce qui est donné à d’autres que soi (donc sans aucune prestation en retour) doit être déductible du revenu, et notamment les dons charitables, puisque l’assujetti n’en profite pas.
Il n’y a pas de raison que les revenus du capital et de l’épargne échappent à l’impôt. Mais deux précautions majeures s’imposent. D’abord, on ne doit taxer que le vrai gain, donc après prise en compte de l’inflation (ou de la déflation éventuelle). Et naturellement il ne faut compter que les revenus réels, nets des frais et charges réels ou forfaitisés (ceci vaut notamment pour l’immobilier).
Ensuite on doit prendre en compte le bienfait apporté à la collectivité par tout investissement long et à risque, qui est collectivement utile. Et donc on doit privilégier, quel que soit le support utilisé, les actions détenues longtemps, et à un moindre degré l’immobilier neuf (le fait d’enrichir le patrimoine collectif en bâtissant). De tels investissements ne sont pas disponibles immédiatement, ou alors sont exposés au risque de marché. En cas de perte nette c’est l’investisseur seul qui subit. L’équité comme le souci du bien commun commandent d’en tenir compte et de taxer de façon nulle ou très modérée une telle épargne à long terme. On peut même admettre qu’une fraction de cet investissement soit déductible de l’IR ou de l’ISF, pour les mêmes raisons (comme c’est le cas de façon sporadique dans la fiscalité actuelle), notamment en faveur des PME.
Tout le reste doit être imposé comme les autres revenus et donc comme le travail, au barème - après inflation ou déflation. Il n’y a aucune raison pour maintenir des dispositifs défiscalisés ou allégés comme le livret A, ou de privilégier certains dispositifs par rapport à des formes d’épargne analogues, comme c’est le cas de l’assurance-vie en France par rapport à la détention directe ou aux OPCVM. Quant à l’immobilier il n’y a aucune raison de le favoriser ni de le défavoriser, sauf la construction neuve.
S’agissant de la jouissance d’un immobilier qu’on utilise (résidence principale notamment) on propose parfois d’inclure un loyer virtuel dans les revenus, comme le font certains pays. Cela paraît cependant irrationnel, car cela revient à taxer la simple jouissance d’un bien lui-même acquis sur des revenus taxés.
A côté de l’impôt sur le revenu on a l’impôt sur la fortune. Par définition un tel impôt porte sur un bien qui a déjà acquitté l’impôt sur le revenu (on verra ci-après la question de l’héritage). Le principe général devrait donc conduire à l’éliminer, sauf considérations de redistribution qu’on a évoquées, fonction des valeurs et priorités de la société concernée. Mais les considérations précédentes valent alors : un tel impôt (qui pèse comme un autre barème progressif) n’a de sens que pour venir en aide aux plus pauvres (par exemple en leur constituant un patrimoine de départ, s’ils le méritent par leurs projets). Sachant que le plafond global qu’on a évoqué s’applique alors (50 % du revenu ?), ainsi que l’exemption prévue ci-après pour les patrimoines collectivement bénéfiques.
Que dire de l’héritage ? Rappelons d’abord qu’il n’y a pas de système de propriété privée efficace, c’est-à-dire assurant que les décisions économiques sont prises pour l’essentiel par des personnes responsables de leurs biens, s’il n’y a pas d’héritage. Le nombre de ceux qui peuvent à partir de rien créer une fortune est infime. En dehors d’eux, si chacun partait de zéro il ne pourrait constituer sauf rares exceptions qu’un capital modeste, qui ne permettrait pas d’action économique (ni de mécénat) efficace. Et donc l’Etat contrôlerait tout. On a vu ce que cela donnait. Et cela contredit directement le principe de subsidiarité.
A cela s’ajoute le point de vue du testateur. Il a des biens, dont il dispose pendant sa vie ; l’héritage prolonge légitimement cette possibilité de choisir, en l’espèce par transmission. Cela ne prive personne d’autre, d’une façon qui serait injuste pour ce tiers. On peut aussi léguer à des fondations, et c’est en soi une bonne chose. Mais ce peut être aussi à des personnes qu’on choisit. Notamment afin de constituer ou de transmettre un patrimoine, ce qui permet à une famille de se prolonger dans l’avenir, et d’assumer un rôle qui n’aurait pas été possible sans cela. Ce souci de la famille est bien dans la ligne de la Doctrine sociale de l’Eglise
En outre et surtout il y a des biens pour lesquels il est collectivement très bénéfique qu’ils restent dans la propriété d’une famille. On citera notamment les entreprises et tout particulièrement les PME et les exploitations agricoles. Mais cela peut valoir pour certains biens particuliers (domaines à valeur historique ou réalisations exceptionnelles). Il vaut en général mieux qu’ils restent la responsabilité d’une famille, si elle est capable de l’assumer, plutôt que d’être vendus et dispersés – ce qui est inévitable si les droits de mutation sont trop lourds, ou l’héritage impossible. Naturellement ceci ne vaut que si le bien est exploité ou géré en direct (mais éventuellement possédé par plusieurs, dans le cadre d’un pacte contraignant) et sur une durée assez longue. La même considération vise d’ailleurs la liberté de tester, qui est très étroite en France : elle devrait être beaucoup plus grande en général, et totale dans le cas de ces biens particuliers. De tels biens devraient être pour l’essentiel exempts de droits de succession et librement alloués à tel ou tel bénéficiaire.
Quelle fiscalité alors sur les successions ? A côté du cas précédent, il paraîtrait juste d’exempter aussi les biens à caractère personnel ou à signification familiale (maison de famille) - sous un certain plafond. Et bien sûr tout ce qui va à des œuvres d’intérêt général. Pour le reste une certaine imposition peut se justifier, là aussi fonction du jugement de la société en question. Cela peut aller d’un niveau modéré à l’imposition au barème de l’impôt sur le revenu. Ce dernier est moins absurde qu’on ne le pense en l’espèce, si on admet les exceptions précédentes ; en outre bien sûr ce revenu d’un type particulier (qui a certes déjà payé l’impôt, mais c’était quelqu’un d’autre qui avait payé) pourrait être étalé sur plusieurs années, diminuant d’autant l’imposition pour la majorité des gens.
*
Voilà pour les principes... il resterait bien sûr à définir le niveau de l’imposition, mais c’est une autre question, variable selon les pays et les époques. Mais sans jamais justifier le niveau aberrant de prélèvements qui prévaut actuellement en France.