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Placement éthique : les critères officiels ne suffisent pas


vendredi 8 mai 2015









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Gestion responsable et exigence éthique

Ce qu’on appelle dans le jargon ‘investissement socialement responsable’ devrait être un enjeu majeur. Investir, c’est financer l’économie de demain. Bien choisir ses investissements, c’est envoyer aux entreprises les signaux sur ce qu’on estime prioritaire pour façonner l’économie et la société de demain. L’investisseur responsable, c’est celui qui a compris ce rôle collectif de l’investissement, et la responsabilité que cela implique. En un sens donc tout investissement devrait être socialement responsable. Evidemment, dans la pratique, les fonds investis sont en général gérés par des gestionnaires professionnels. Mais les instructions qui leur sont données par ceux qui leur confient leur argent ont un rôle majeur.

Le souci d’une certaine éthique s’est traduit par le développement de ce qu’on appelle l’investissement socialement responsable (ISR) ou responsabilité sociale de l’entreprise (RSE). Ce mot d’investissement responsable recouvre aujourd’hui des réalités assez variables, en général trop étroitement comprises. Certains le confondent même avec le seul souci du développement durable, légitime mais partiel : une économie esclavagiste pourrait être en développement durable. Dans l’approche RSE telle qu’elle est actuellement comprise l’exigence éthique au sens plein du terme joue un rôle limité, même si c’est au fond par une forme d’éthique qu’on décide de favoriser la RSE. Des pactes ont été élaborés sous l’égide de l’Onu, notamment le ‘Global compact’ de Kofi Annan (2002). Cela vise principalement les droits de l’homme, le droit du travail, la lutte contre la corruption, et le respect de l’environnement. Toujours sous la même égide, les ‘Principes de l’investissement responsable’ de 2006 y font référence ; ils sont clairement centrés sur l’environnement, le social et la gouvernance (ESG). L’approche ESG domine actuellement massivement la réflexion et l’action en matière d’ISR. C’est plutôt bien, certes, mais trop étroit. En tout cas cela n’est certainement pas suffisant pour celui qui regarde la question avec les exigences de la Doctrine sociale de l’Eglise.

Il faut donc que se développent des grilles d’analyse plus ambitieuses que les actuelles, à la fois plus larges et précises, qui intègrent le souci de relations véritablement éthiques avec l’ensemble des partenaires de l’entreprise dans laquelle on envisage d’investir. Car la question centrale est la suivante : comment l’entreprise dans laquelle j’envisage d’investir assume-t-elle ses responsabilités envers les différentes communautés humaines avec qui elle est en relation, et plus largement avec l’ensemble de la Création ? Cela conduit à envisager les critères suivants.

Responsabilités envers l’environnement

Je le cite en premier car c’est avec le social de loin le plus important dans les critères actuellement pris en compte. Il fait partie des critères ESG officiels et ne pose pas de problème dans son principe. En revanche la pratique est complexe. A un niveau concret et immédiat, la dimension environnementale touche la conception, la production et la distribution des produits (transport compris). Cela vise en particulier la prévention et le contrôle de la pollution, la protection des ressources en eau, la préservation de la biodiversité, toute la gestion des déchets etc.

Mais si on veut être complet, il faut avoir une philosophie d’ensemble sur ce qui est jugé bon, neutre ou mauvais dans l’économie et la manière de vivre actuelle prise dans son ensemble, au vu de leur impact présent et futur sur l’environnement. Cela pose donc des questions de fond, techniquement complexes. L’énergie et les matières premières en sont un exemple évident. Que faire avec le nucléaire ? Le charbon ? La réponse ne va pas de soi : le nucléaire est proscrit par la plupart des fonds anglo‐saxons, alors que les gérants français ISR tendent à le retenir favorablement puisque, contrairement aux énergies fossiles, il ne rejette pas de gaz à effet de serre.

La question peut enfin être élargie à la responsabilité envers les personnes ‘utilisées’ dans le processus de production : le droit de l’embryon notamment devrait en exclure toute utilisation. Puis envers les éléments de la nature autres que les hommes. Ainsi la question des tests sur les animaux. A ce sujet il y a aussi des différences marquées entre les pays : les investisseurs militants anglo‐saxons excluent les entreprises qui les pratiquent, alors que cela a peu d’échos en Europe continentale.

Quoiqu’il en soit sur tous ces points il faut choisir, et résolument.

Responsabilités envers le personnel et les collaborateurs

C’est parmi les critères actuels le plus important et le plus développé avec l’environnement. Il faut rappeler d’emblée que dans le cas des entreprises multinationales ce souci s’applique à des environnements très variés, où le droit du travail est notablement différent de celui des pays avancés. La dimension sociale renvoie d’abord à la gestion des ressources humaines (modalités de recrutement, formation et gestion des carrières, reconversion et adaptabilité, qualité des conditions de travail, respect de la vie privée, dialogue social, participation des salariés, prise en compte de situation spécifiques comme les handicapés, question de la diversité du recrutement etc.). Dans le cadre des critères reçus au niveau international, les entreprises sont invitées à respecter la liberté d’association et à reconnaître le droit de négociation collective ; à contribuer à l’élimination de toutes les formes de travail forcé ou obligatoire, à l’abolition effective du travail des enfants, et à l’élimination de toute discrimination en matière d’emploi et de profession. Cela peut conduire aussi à agir pour le développement du droit du travail local (voir ci-après). Dans l’ensemble, et sous réserve de la complexité des situations locales, le critère paraît assez clair.

Mais à un niveau plus large, nous dit-on, cela inclut aussi le respect des ‘droits de l’homme’ ou celui de la ‘diversité’. Il faut alors répondre à des questions peu neutres, par exemple sur la diversité des mœurs : mariage gay etc. Or les choix de l’ESG officielle ne vont pas de soi dans une approche croyante, ou même fondée sur la seule loi naturelle. C’est notamment vrai de l’enseignement catholique. Certes on respectera les personnes, mais on ne mettra pas sur le même plan la famille véritable (les parents et les enfants qu’ils ont faits ensemble et qu’ils élèvent) et les formes diverses de vie commune qu’on promeut aujourd’hui ou met au même niveau. De façon générale, dans cette optique plus exigeante, la prise en compte de la vie familiale sera bien plus marquée. Ou la reconnaissance du fait que la personne se réalise dans le travail. Ou l’association des salariés au processus de décision. C’est donc bien un ensemble de critères alternatifs d’investissement qu’il faut promouvoir.

Responsabilités des actionnaires, relations de l’entreprise avec ses actionnaires

La gouvernance n’est pas toujours un concept clair. Dans le contexte étroit de l’ESG, elle est sur le même plan que l’environnement et le social. Mais ces derniers sont un but en soi ; la gouvernance elle est subordonnée à d’autres buts. En soi la gouvernance c’est la manière dont on organise la prise de décision : question importante mais subordonnée. Il est vrai que certains étendent la notion de gouvernance à toute une série de dimensions qu’ils ne prennent pas en compte par ailleurs : par exemple, la nature des produits, ou les rapports avec les communautés où s’insère l’entreprise. On y range aussi l’attitude globale de l’entreprise envers les préoccupations ESG et l’intégration dans ses processus de décision de critères plus larges que la rentabilité. Mais il me paraît plus rationnel d’examiner ces préoccupations comme telles et de ne considérer comme gouvernance que ce qui touche à la prise de décision, y compris la communication.

Inversement dans le cadre actuel, on tend bien souvent à limiter l’objectif de la gouvernance aux pratiques des entreprises vis-à-vis de leurs actionnaires, compris d’ailleurs comme lui étant extérieurs : respect du droit des actionnaires, promotion de l’indépendance et de la compétence des administrateurs, transparence de la rémunération des cadres dirigeants, organisation du conseil d’administration etc.

Cette approche ESG de la gouvernance est en soi acceptable dans son principe. Mais là encore, dans une optique éthique alternative, on sera plus exigeant sur la philosophie qu’affiche l’entreprise, notamment en regard des demandes financières de ses propriétaires, les actionnaires. Par exemple, le principe (catholique) de destination universelle des biens exclut que l’entreprise soit ordonnée au seul profit financier des actionnaires. Ou des dirigeants, notamment au vu de leurs rémunérations...

Responsabilités envers les clients, y compris sur les produits

Si donc certains étendent la dimension gouvernance aux comportements sur les marchés et vis-à-vis des clients et des fournisseurs, en réalité c’est une question en soi. La relation avec les clients comporte au minimum la sécurité des produits et l’information donnée aux consommateurs sur ces produits. Mais elle s’étend aussi à la nature des produits fabriqués, notamment dans les procédures de sélection par exclusion : alcool, armes, jeu, militaire, nucléaire, tabac.

En fait la question est à la fois vaste et simple : une entreprise doit proposer des produits utiles et sûrs, à un juste prix, dans le cadre de relations de partenariat - lorsque cela a un sens. Une telle exigence sur le rôle et l’utilité des produits fait une nette différence avec l’approche ESG qui ne lui donne pas une place centrale.

Responsabilités envers les fournisseurs et distributeurs

C’est aussi une question centrale. On cite déjà dans la littérature la prévention des conflits d’intérêts et des pratiques de corruption, ou anti-concurrentielles. Ou parle de la diffusion des bonnes pratiques dans l’ensemble de la chaîne de valeur en amont et en aval de la production.

Là aussi une approche éthique est nécessairement plus exigeante. D’abord en termes de juste prix. Ensuite sur le besoin de relations de partenariat, voire de solidarité envers les fournisseurs, surtout lorsqu’ils sont plus faibles.

Responsabilités envers les communautés où l’entreprise intervient

Certains l’incluent sous le ‘social’ de l’ESG. Ou sous la gouvernance. Mais c’est une préoccupation en soi. Parmi les exemples de questions qu’on peut se poser : pouvait-on financer la Birmanie à l’époque de la dictature ? Un barrage avec des déplacements brutaux de populations ? Ce souci peut inclure le souci de respecter la ‘diversité’, ou de « promouvoir et à respecter la protection du droit international relatif aux droits de l’homme ». Un autre point fréquemment soulevé est celui de la corruption sous toutes ses formes, y compris l’extorsion de fonds et les pots-de-vin.

Là aussi de telles préoccupations ambiantes sont à prendre en compte mais à approfondir. Le fait de ne pas se livrer à des pratiques répréhensibles ou de ne pas en être complice est une première étape. Mais il faut aller au-delà : l’entreprise doit prendre en compte sa participation à la communauté où elle intervient, comprise comme contribution positive au développement de celle-ci.

Responsabilités envers la communauté d’origine

Cette question est peu posée. On parle bien sûr des paradis fiscaux, et à raison : le tort de ceux qui en usent et abusent est de soustraire des revenus fiscaux légitimes à un pays, en général celui d’origine.

Un passage de l’encyclique Caritas in veritate souligne elle les devoirs d’une entreprise devenue internationale envers son pays d’origine, qui lui a fourni de quoi se développer, et notamment ses capitaux. C’est notamment la question de l’utilisation de la capacité d’investissement de l’entreprise et de la localisation de ses développements. La solidarité avec le pays de départ est une vraie exigence. Même si elle ne doit empêcher ni le développement international, ni une présence dans les pays émergents.

Comme on voit on n’est qu’au début du processus. C’est toute une gamme large de critère qu’il faut développer, et poser aux entreprises comme étalon de mesure, en sus des critères financiers usuels. Bien au-delà de l’ESG officielle !


















































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