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La décroissance est-elle chrétienne ?


samedi 27 février 2010









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La croissance économique est-elle un bien en soi ? Il y a quelques années la question paraissait avoir d’emblée une réponse évidente et positive. Cela va moins de soi depuis - jusqu’au développement dans certains milieux écologistes, mais aussi chrétiens, du thème provocateur de la décroissance. Laquelle paraît pourtant se heurter frontalement à la célèbre recommandation de la Genèse (croissez et multipliez !). En même temps le souci de l’environnement, et au-delà, de l’avenir de la planète fait l’objet de soucis de plus en plus aigus, entre autre de la part du pape actuel. En nous limitant au champ de l’économique et du social nous aborderons la question sous deux angles spécifiques, à travers deux ouvrages récents : d’abord celui du bonheur en ce monde et du rôle qu’y joue le revenu et sa croissance ; et ensuite celui de la limitation des ressources disponibles pour l’humanité. Bonheur et croissance économique ou revenu Sur le premier point, Anthony Kenny et Charles Kenny distinguent trois éléments de bien-être : le contentement subjectif (qui est proche du bonheur utilitariste), la satisfaction matérielle ou bien-être (welfare) ; et enfin la dignité. Ils relèvent qu’ils sont indépendants les uns des autres. L’esclave bien traité n’a pas le troisième ; l’ascète n’a pas le second ; le riche respecté mais insatisfait n’a pas le premier. Nos auteurs notent que le thème du bonheur pour tous apparaît de façon massive dès la fin du XVIIe et donc avant la révolution industrielle . Inversement c’est avec celle-ci qu’on a vu se développer la thèse inverse : le mal du siècle comme lassitude devant la richesse, l’image de l’échec collectif avec la misère du prolétariat etc. Ce qui conduit à l’idée qu’il n’y a pas de corrélation historique entre la richesse matérielle et le bonheur (même compris de façon large et peu exigeante philosophiquement). Le fait est d’ailleurs que pendant des siècles on a estimé le bonheur possible à des niveaux de revenus qui nous apparaissent aujourd’hui très bas. Ce qui est vrai pour le bien-être et le contentement l’est a fortiori pour la dignité. On peut même considérer que la fascination collective pour le revenu et sa croissance n’a pris de l’extension qu’au XXe siècle. Le bien-être (welfare) dans l’histoire Historiquement comme on sait le rôle de la civilisation n’a pas été manifestement positif en termes de bien-être pur, tout au contraire. Elle a par exemple favorisé le développement de maladies dont beaucoup étaient inconnues de la préhistoire . Avec leurs voyages jusqu’à la période récente les Européens ont partout créé un problème majeur de maladies : celles qu’ils prenaient comme celles qu’ils apportaient. La taille moyenne des hommes a baissé pendant 2000 ans. Ce que l’on constate jusqu’au XXe siècle est que c’est la technologie et l’organisation institutionnelle qui sont derrière l’amélioration de la santé, bien plus que le revenu. Rappelons que les riches d’autrefois n’étaient pas en meilleure santé que leurs contemporains pauvres. De la même manière, de façon générale le niveau de criminalité a peu à voir avec le revenu, tout au contraire : la relation peut même aller en sens inverse . Plus généralement, selon les analyses citées par notre auteur, le rôle du revenu dans le bien-être (welfare) oscille au-delà d’un certain niveau entre très faible, et faible. La dignité La dignité est ici comprise comme comportant trois éléments : la capacité de choix, la valeur (une vie qui en vaille la peine) et le prestige. Les choix sont variés et seuls certains importent pour la dignité : ce sont selon nos auteurs le choix de l’identité culturelle, celui du rôle social, et celui du gouvernement sous lequel on vit. Quoiqu’il en soit le rôle du revenu est ici encore très faible. Certains choix entraînent une dépendance à l’égard de la richesse matérielle qui fragilise . En outre si le bonheur est dans les choses matérielles, la compétition est inévitable ; de même pour le pouvoir. Rien de tout ceci ne pèse dans le cas des plaisirs intellectuels, ou du fait de soigner les gens. Le prestige enfin n’est pas essentiel, mais contributif ; et son principal inconvénient est là encore son lien avec la compétition, surtout si on le relie au revenu. Le système de marché libre, favorisant la compétition, peut donc paradoxalement être un obstacle au bonheur, malgré son efficacité matérielle. Les enquêtes montrent d’ailleurs l’importance des niveaux relatifs de revenu par rapport aux niveaux absolus : on préfère gagner moins si ce faisant on évite que quelqu’un soit beaucoup plus riche. Mais en même temps, disent nos auteurs pourquoi être malheureux parce qu’un autre est plus riche ? Ce qui devrait compter est la manière dont on traite les plus mal lotis. Moralement cela peut se défendre, mais cela ne suffit évidemment pas pour le bonheur de la majorité, dans un contexte où les seules valeurs collectives sont matérielles. En d’autres termes, si la recherche de dignité est trop reliée à la base matérielle, l’insatisfaction est probable. Contentement L’impact du revenu sur le contentement (mesuré subjectivement) paraît lui aussi tout à fait limité. Si les périodes de récession font souffrir, c’est à cause du chômage ou de la perte de revenu personnelle de certains, bien plus que du fait de la réduction de la production dans son ensemble. Le contentement paraît mieux corrélé avec la richesse relative (le fait d’être plus riche que d’autres) qu’avec le niveau absolu qu’on obtient. Sauf bien sûr au niveau de vraie pauvreté et de privation ; cependant même alors le revenu n’est pas tout et on trouve des éléments de satisfaction à de très bas niveaux de revenu. On note qu’on a eu triplement du PNB par tête au Japon de 1962 à 1987, mais stagnation du niveau de satisfaction ; de même aux Etats-Unis. De même si on prend des indices extérieurs objectifs. Par exemple le taux de suicide a monté partout avec le revenu. Il semblerait cependant que paradoxalement le revenu importe marginalement plus dans les pays riches ; mais en fait, il s’agit d’une recherche du statut. En outre peu de gens peuvent gagner la course au statut ; et certains biens, notamment prestigieux, ne peuvent être généralisés. Comme dit Christopher Lasch, le consumérisme est très éloigné de l’hédonisme car il suppose « un état d’insatisfaction et d’anxiété chronique » .

Nos auteurs rappellent qu’il y a d’autres biens qui peuvent être généralisés mais qui ne sont pas appréciés de façon comparative (contrairement au revenu) : ainsi le temps libre, ou la sécurité. De ce point de vue, il faudrait donc décourager les biens ‘positionnels’ (relatifs et impliquant compétition) et avantager les autres, parmi lesquels on peut aussi ranger la santé, l’éducation, une faible inflation ou le plein emploi, ainsi que l’honnêteté et la confiance mutuelle. Notons que sur tous ces points une dimension essentielle est la qualité du gouvernement. Plus largement, la question première est la priorité qu’on se donne, le choix de valeur poursuivi par les personnes et la société concernés. Comme disait Mill, rechercher son bonheur n’est pas le meilleur moyen de l’obtenir. Mieux vaut avoir un autre but : altruiste, artistique ou autre. En guise de conclusion sur le bonheur Il apparaît donc que de façon générale un dollar de plus n’a pas d’impact véritable sur le bonheur de la grande amortie. Mais naturellement il a un impact énorme sur les plus pauvres. Il y a donc disent nos auteurs une exigence morale forte à aider les personnes pauvres en Inde par exemple, mais pas à ce que l’Inde croisse de 6% par an. Nous déduirons de cette analyse qu’il apparaît manifeste qu’un progrès relatif matériel peut être obtenu par l’organisation collective ainsi que par le progrès technique, et que en outre le système de références collectifs joue un rôle appréciable dans la satisfaction subjective. En revanche il ne paraît pas évident que le revenu et sa croissance apportent une contribution appréciable, sauf évidemment en concourant aux facteurs précédents (il est évident que la croissance aide au progrès technique, et réciproquement).

Est-ce à dire que, même si elle est possible, la croissance économique ait peu d’intérêt ? Cela serait aller un peu vite en besogne. D’abord et surtout ce qu’on appelle ici le bonheur, compris au sens économique, n’est pas nécessairement le seul critère à prendre en compte, tant s’en faut. D’abord on n’y considère qu’une conception assez étroite du bonheur. L’exhortation biblique à croître et à se multiplier valorise manifestement le fait que des hommes naissent, et plus nombreux : l’existence est un Bien en soi. Il en est de même d’ailleurs du progrès du savoir, de la création collective, du simple fait de réaliser. En d’autres termes, et notamment dans une perspective chrétienne, si le bonheur est un critère indiscutable sil s’agit du bonheur au sens plein et durable, celui de la vie éternelle et ce que nous pouvons en pré-goûter ici-bas, cela ne va pas de soi pour les formes partielles de bonheur mesurées par l’économie ou la sociologie, non qu’elles soient méprisables, mais elles ne sont que relatives. Même si les bandes de chasseurs paléolithiques étaient réellement aussi heureux ou plus que leurs descendants sédentaires et organisés, il n’en resterait pas moins que l’humanité se trouve mieux après le Parthénon et Chartres : cela n’a sans doute pas accru notre bonheur quantitatif, mais nous devions les réaliser et nous en sommes en un sens meilleurs, et plus en accord avec notre vocation. Mais bien entendu cette remarque elle-même, tout en permettant d’envisager avec faveur la croissance y compris quantitative, en subordonnera l’appréciation à la réalisation qualitative d’objectifs soit de charité et de solidarité, soit de création scientifique ou esthétique, soit de réalisation d’ordre spirituel ou philosophique, qui ne sont pas en général pas au premier rang des préoccupations collectives réelles des sociétés actuelles. Une nouvelle croissance territorialisée ? Reste à se demander si matériellement la croissance est possible, en tout cas sous la forme actuelle. Hervé Juvin propose une critique radicale de notre mode de production, non pour déboucher sur un retour à la nature, mais pour proposer une perspective économique radicalement différente, territorialisée et autarcique. L’idéologie de la croissance sans limite Il oppose d’abord à la vision actuelle la conception antique de la vie, qui était fondée sur la tempérance, la maîtrise des désirs, le respect de la distance, de la durée et de la différence, d’une nature qui dépassait (alors) les capacités humaines d’agir. Cette vision était aristocratique, conservatrice et modérée, fondée sur l’appropriation de soi par soi ; l’ordre du monde y était compris comme supérieur à tout ce que l’action peut lui apporter. En regard la croyance en une croissance sans limite est récente : elle date de la dernière guerre . La soif immodérée de tout est devenue paradoxalement conduite vertueuse. Elle exalte dit-il la toute-puissance de l’homme, le refus de toute limite, de toute règle préétablie. Quitte d’ailleurs à s’adapter : c’est ainsi qu’au devoir moral de progrès se substitue désormais le droit de tous à la consommation, qui est plus démocratique. Ceci se base sur une idéologie dominante, qu’il analyse en détail, exaltant la croissance et le progrès matériel. Dans sa passion progressiste, elle organise la liquidation des croyances et références alternatives et notamment de tout ce qui reconnaît l’existence durable de la violence, de la faute ou du mal, en un mot qui admet nos limites. Mais du coup cela plonge dans la déchéance ceux qui vivaient des croyances et appartenances antérieures, sans estime ou sens de soi, d’ou dépendance et ressentiment. On exalte en outre systématiquement les droits de l’individu contre la collectivité, ce qui interdit toute transmission liée à la famille, aux origines ou à la communauté. Cela vient d’ailleurs de loin : selon notre auteur, dès le XVIe siècle, Vitoria a lancé la justification du droit de conquête, le droit des migrations humaines et de la globalisation : « l’usage du monde commande les droits sur lui ». Le monde se réduisait donc à son utilité. Cela préparait notre mondialisation, celle du bien et du droit. On fonde sur l’individualisme le droit au développement. Mais ajoute-t-il, c’est toujours le thème de la Genèse. Car « la malédiction du peuple élu que toutes les religions du Livre ont en elles », c’est « la prétendue supériorité de l’espèce humaine », laquelle explique notre indifférence aux abus du monde.

Or, et le point est central, pour notre auteur cette croissance est intenable et même fausse. Techniquement, le point essentiel selon lui est qu’on s’interroge sur les flux, jamais sur les stocks, en d’autres termes jamais sur ce qu’on consomme d’irremplaçable, qui est massif. Notre croissance serait donc en fait un processus de liquidation : on ‘croît et se multiple’ en vivant sur des réserves. Nos chiffres n’indiquent d’ailleurs pas cette consommation ; les discours sur la croissance, science comprise, sont donc dit-il un « mensonge criminel » ; car la valeur ajoutée s’effondrerait dès qu’on prendrait en compte ces externalités. Il résume comme suit son point de vue : « Dans la réalité, elle a détruit des biens naturels rares, non reproductibles, pour fabriquer des produits industriels consommables, médiocres, jetables, polluants et sans valeur résiduelle » . Economie de demain : stocks, collectif, territorial Quelle voie faudrait-il alors suivre ? Demain n’est pour notre auteur il n’y a pas le retour à hier, à la nature sauvage, car c’est désormais impossible. La voie à suivre est à l’opposé. Nous avons selon lui devant nous une tâche immense que personne n’a entreprise avant, qui est tout bonnement d’chever la sortie de la nature ; car le point central est que nous ne pouvons plus attendre d’elle qu’elle corrige les effets de notre action. Ce retour est une illusion : nous en sommes à un point tel qu’il faut que rien ne se passe que nous ne l’aillions décidé ; en ce sens et paradoxalement nous poursuivons la vieille aventure des religions du Livre. En bref, nous devons consacrer nos ressources à suppléer à la nature. Poissons, arbre, viande etc. tout doit être produit dans des fermes et par l’homme. Il faut passer à une économie de stocks, pondérant les ressources et leur disponibilité ; une économie où la qualité et la singularité trouvent leur place. « Désormais nous ne pouvons nous enchanter que de nos œuvres » . L’homme doit accepter d’être le ‘dieu’ qu’il a en lui ; ce qui veut dire qu’il doit effacer un siècle de ‘pillages’ pour créer l’économie de la rareté au sens plein du terme.

Tout cela sera selon lui assuré par « l’avènement du corps » qui justifie et légitime la nouvelle politique. Le droit et la loi reprennent leur emprise sur l’économie et le marché. Mais pas principalement par l’Etat . Normes internationales, ONG, sentiment collectif : tout cela constitue une nébuleuse floue mais effective ; c’est un nouveau mouvement de socialisation, mais il est largement situé en dehors de l’Etat. On constate certes parallèlement un retour des Etats et du droit ; il permet d’instaurer les contraintes voulues ; mais l’Etat retrouve son rôle pour faire advenir des projets, non pour être juste, mais pour protéger de la violence. D’ailleurs le défi des biens publics mondiaux (grands espaces vierges) sera selon lui sans doute relevé par des organismes privés, de nouveaux riches ; et/ou des organismes mondiaux, à la place des Etats. En outre, avec le virtuel on se dispense du monde physique : le virtuel crée une nouvelle extériorité. Le réel sera en revanche le privilège d’une petite minorité. Surtout le territoire s’affirmera comme lieu de contrôle, mutuel. Les concepts d’égalité, d’universalité et de croissance sont dès lors selon lui totalement inactuels ; la proclamation d’une société fondée sur l’individualisme s’avère mensongère. Séparation, distinction et clôture reviennent ; même si les réponses ne peuvent être purement nationales. C’est que le sens de l’espace va réapparaître : la production se fera de bout en bout sur place, dans des entreprises reprenant leur fonction sociale . On retrouvera la « primauté de la société sur l’économie, du collectif sur l’individuel », et surtout du territoire. C’est l’entrée dans une espace commun, unique, mais étriqué. Notons que, « accessoirement, elle met fin à l’utopie d’une extension mondiale de la démocratie » ; on dépassera donc la conception individualiste et libérale des droits de l’homme. Car les premiers droits concrets de l’individu sont collectifs. D’où une vision globale, mais séparatrice. Appréciation : le véritable progrès Nous avons ici un bon exemple d’une tentation qui affecte tout un milieu chrétien : celle du renoncement pur est simple à toute croissance ou progrès économique. Renoncement d’ailleurs largement virtuel, car on ne voit pas d’action concrète en ce sens ; mais qu’il est important de prendre en considération. Le point de départ est l’idée juste que la croissance matérielle n’a pas grand chose à voir avec le bonheur, au-delà d’un niveau élémentaire de satisfaction de besoins comme la faim et le froid. Non seulement le bien-être matériel dépend plus de l’organisation collective et du progrès technique pur que de la croissance matérielle, mais notre satisfaction ou a fortiori la dignité de notre vie n’ont pas grand-chose à voir avec. Le jeu des valeurs personnelles et collectives est ici autrement déterminant.

Mais cela ne justifie pas pour autant la vision catastrophiste qu’en tire Juvin avec beaucoup d’autres. Car en exaltant la volonté d’amélioration collective basée sur l’utilisation de la nature, les religions du Livre comme il dit (expression d’ailleurs défectueuse) , en fait la Bible n’ont pas engagé l’humanité dans une voie aléatoire et dangereuse, et cela au moins pour trois raisons. En premier lieu, parce que la voie de l’amélioration, de l’effort collectif, n’est pas la voie de la croissance matérielle absolue, dont notre auteur reconnaît que ce n’est que très récemment qu’elle a été pensée comme telle. Rien dans la Bible ne pousse à la croissance purement quantitative. En revanche l’effort pour s’occuper des souffrances des autres, ou l’absence de culpabilité dans l’utilisation de la nature, sont franchement bibliques. Comme l’est la recherche d’une meilleure organisation de la vie collective, marquée par le souci de la charité. Le fait que l’humanité moderne, postchrétienne, ait tourné les dons divins dans un sens essentiellement matériel et mesurable, avec la volonté prométhéenne de créer le paradis sur terre, a certes des racines lointaines chrétiennes ; mais le fruit n’est en rien chrétien. En d’autres termes, comme nous l’avons montré dans notre Christianisme et Croissance économique, la capacité à la croissance est un don de Dieu, chrétien, mais son utilisation matérialiste tourne dans une mesure importante le dos à l’intention première.

En second lieu, il n’est pas démontré que nous devions avoir comme horizon certain une limitation matérielle de nos ressources, nous conduisant à une reterritorialisation totale, chacun s’efforçant localement de vivoter sur la base des seules ressources manifestement renouvelables qu’il a à sa portée immédiate. Les postulats malthusiens sont ici pris comme des absolus indiscutables. Or de même que les prévisions catastrophistes du Club de Rome dans les années 70 se sont avérées absurdement pessimistes, il n’est pas évident que l’humanité ne trouvera pas à chaque étape une nouvelle série de ressources qui lui permettront de franchir un autre stade, notamment en matière énergétique (solaire ou nucléaire, ou autre). Par ailleurs, en supposant même que les ressources minières se révèlent un jour décidément limitées, sans doute mieux valait les utiliser pendant tout un temps, plutôt que de les laisser dormir inutilement. A quoi servent des réserves de pétrole si personne ne les utilise ? Certes il est sot de voir ces hydrocarbures complexes volatilisés en déplacements inutiles ; mais si on en reste à une perspective matérialiste, il serait encore plus sot de les laisser là où elles sont pour respecter on ne sait quel tabou prétendument écologiste.

En troisième lieu, la véritable perspective est comme on sait spirituelle. Elle conduit l’humanité, faite à l’image de Dieu pour le chrétien, et animal rationnel pour les Anciens, à poursuivre aussi bien que possible les tâches qu’il perçoit devant lui. On a vu que le progrès reposait principalement sur l’organisation collective, la recherche du bien, et le progrès technologique, plus que sur la seule croissance matérielle. Nous n’avons donc absolument aucune raison de renoncer à ces facteurs. Certes le progrès technique comme l’organisation collective peuvent tous deux conduire à des effets nocifs, voire à des désastres. Mais ce n’est pas une fatalité. Quant à la croissance matérielle, nous voyons bien qu’elle a toutes chances de se heurter à des limites physiques, du moins à technologie donnée. Mais est-ce une raison pour renoncer à l’usage de ces biens ? Non : mais c’en est une pour essayer, dans la limite de nos moyens, pour être responsables. Donc pour utiliser nos ressources transitoires pour tenter d’aller vers une autre étape, meilleure et plus durable, et faire du bien dans l’intervalle. Et surtout, bien sûr, pour utiliser ces ressources pour la seule chose qui compte, le progrès individuel et collectif de nos âmes ; la préparation à la véritable patrie, qui est dans l’autre monde.

En d’autres termes le message biblique, et plus précisément chrétien, n’est pas celui d’une restriction sur un espace étroit et limité dans un cadre mental de culpabilisation malthusienne. Il consiste à assumer nos responsabilités tout en connaissant nos limites et surtout en nous sachant dans les mains de Dieu. Cela débouche certainement sur une remise en cause profonde du consumérisme ambiant et du gaspillage ; cela le ferait d’ailleurs même s’il n’y avait pas de limite physique. Mais cela débouche surtout sur un effort personnel et collectif de souci de nos responsabilités : responsabilité pour les conséquences de nos actes, négativement s’ils peuvent produire du mal et notamment remettre en cause les équilibres et l’avenir de la planète ; mais plus encore positivement s’il s’agit pour nous encore et toujours, d’utiliser notre savoir et notre raison pour explorer les possibilités de ce monde qui nous a été donné par Dieu, pour Sa plus grande gloire. Jardiniers oui, malthusiens non.

Janvier 2009

(Publié initalement dans Liberté politique)

Pour en lire plus voir notre L’Economie et le Christianisme


















































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