mercredi 4 octobre 2023
Le pape François propose ici un nouveau texte (https://www.vatican.va/content/fran...), présenté comme faisant suite à Laudato si’. Mais c’est un texte court, véhément, concentré sur une question spécifique : le réchauffement climatique. C’est sur ce point précis un cri d’alerte, une piqûre de rappel à Laudato si’, dont il reprend plusieurs thèmes majeurs comme le ‘paradigme technocratique, mais sans nouveauté majeure dans l’analyse.
Il est à remarquer que l’essentiel du message du texte se réfère à des réalités non spécifiquement chrétiennes : analyse du réchauffement, critique du ‘paradigme technocratique’ et évaluation politico-diplomatique. La référence à la foi n’apparaît qu’à la fin, comme une source de motivation supplémentaire et comme cadre global, mais qui ne modifie pas l’analyse de base.
Les points principaux de diagnostic : le consensus des experts
Le point de départ est alarmiste : (2) « nos réactions sont insuffisantes alors que le monde qui nous accueille s’effrite et s’approche peut-être d’un point de rupture ». En effet, (15) « certaines manifestations de cette crise climatique sont déjà irréversibles pour des centaines d’années au moins, comme l’augmentation de la température globale des océans, leur acidification et leur appauvrissement en oxygène » ou (16) « la diminution des glaces continentales ». Certes (17) « certains diagnostics apocalyptiques semblent souvent peu rationnels ou insuffisamment fondés. Cela ne doit pas nous faire ignorer que la possibilité de parvenir à un point critique est réelle. Des changements mineurs peuvent provoquer des changements plus grands, imprévus et peut-être déjà irréversibles, en raison de facteurs d’inertie ». Suit une analyse de la « crise climatique globale » : (5) « les signes du changement climatique sont là, toujours plus évidents » notamment des phénomènes extrêmes ; or « certains changements climatiques provoqués par l’humanité augmentent considérablement la probabilité d’événements extrêmes de plus en plus fréquents et intenses ».
Pourtant, poursuit-il (6) « ces dernières années, de nombreuses personnes ont tenté de se moquer de ce constat. Elles font appel à des données supposées scientifiquement solides, comme le fait que la planète a toujours connu et connaîtra toujours des périodes de refroidissement et de réchauffement. Elles oublient de mentionner un autre fait pertinent : ce à quoi nous assistons aujourd’hui est une accélération inhabituelle du réchauffement ». Or (11) « on ne peut plus douter de l’origine humaine, - “anthropique” - du changement climatique » notamment au vu de sa soudaineté. C’est que (13) « il n’est pas possible de dissimuler la coïncidence entre ces phénomènes climatiques mondiaux et la croissance accélérée des émissions de gaz à effet de serre, en particulier depuis le milieu du XXème siècle. Cette corrélation est défendue par une écrasante majorité de spécialistes du climat. »
Sur tous ces sujets, centraux dans le message du texte, le point essentiel est que le constat relève entièrement et exclusive d’une analyse d’ordre scientifique ; il n’a en soi rien de religieux ni même d’éthique. Or comme je l’ai développé ailleurs (voir www.pierredelauzun.com/Catholicisme...), l’autorité du magistère catholique porte sur ce qui concerne la foi et les mœurs (la morale) ; mais en aucune façon la science. Le rôle totalement central donné ici à des constatations d’ordre scientifique est en un sens une faiblesse pour un texte doctrinal, même si en l’espèce il y a un assez grand consensus des spécialistes : que le pape rejoigne leur analyse n’ajoute rien à celle-ci. En revanche bien sûr, si ce consensus est fondé, il relève de la morale de dire : vous devez réagir, cette situation est vraiment dangereuse.
Des aspects sociaux et économiques rappelés mais peu élaborés ici
Ces aspects sont présents, comme dans Laudato si’, avec les mêmes termes, mais sans insister ; ainsi la nocivité des grandes entreprises, que décidément le pape n’aime pas (non sans quelque motif) mais dont il ne perçoit pas qu’elles peuvent aussi à l’occasion participer de la solution : (13) « malheureusement, la crise climatique n’est pas vraiment un sujet d’intérêt pour les grandes puissances économiques, soucieuses du plus grand profit au moindre coût et dans les plus brefs délais possibles. » Ou, plus incontestable, la dimension sociale (3) : « il s’agit d’un problème social global qui est intimement lié à la dignité de la vie humaine », notamment du fait que « les effets du changement climatique sont supportés par les personnes les plus vulnérables, que ce soit chez elles ou dans le monde entier ». Avec un thème nouveau, l’emploi (10) : « on dit aussi souvent que les efforts visant à atténuer le changement climatique […] entraîneront une réduction des emplois. En réalité, des millions de personnes perdent leur travail en raison des diverses conséquences du changement climatique […] Par ailleurs, la transition vers des formes d’énergies renouvelables bien gérées, ainsi que les efforts d’adaptation aux dommages du changement climatique, sont capables de créer d’innombrables emplois dans différents secteurs ».
La démographie est évoquée aussi, mais de façon étrange (9) : « certains attribuent la responsabilité aux pauvres parce qu’ils ont beaucoup d’enfants, et ils cherchent même à résoudre le problème en mutilant les femmes des pays les moins développés ». « Mais la réalité est qu’un faible pourcentage des plus riches de la planète pollue plus que les 50% plus pauvres de la population mondiale, et que les émissions par habitant des pays les plus riches sont très supérieures à celles des pays les plus pauvres. » A vrai dire il n’y a pas beaucoup de monde qui accuse les pauvres du réchauffement ! Mais en se limitant à cet aspect, le thème de la démographie, traité superficiellement par Laudato si’, l’est encore moins ici. Or c’est un point de divergence majeur entre l’Eglise et une bonne partie du courant écologique : il est très regrettable qu’en fois de plus cette question ne soit pas traitée sérieusement.
Une cause majeure : le ‘paradigme technocratique’ et la volonté de puissance sous-jacente
Une autre thème en revanche repris plus en détails de Laudato si’ est celui du ‘paradigme technocratique’, qui était déjà un développement majeur de cette encyclique, et un de ses apports originaux. Comme dit le pape (20) « j’ai donné dans Laudato si’ une brève explication du paradigme technocratique qui se trouve derrière le processus actuel de dégradation de l’environnement. C’est ‘une manière de comprendre la vie et l’activité humaine qui a dévié et qui contredit la réalité jusqu’à lui nuire’. Au fond, il consiste à penser ‘comme si la réalité, le bien et la vérité surgissaient spontanément du pouvoir technologique et économique lui-même’. » (21) « Au cours des dernières années, nous avons pu confirmer ce diagnostic tout en assistant à une nouvelle avancée du paradigme en question ». C’est que (22) « les ressources naturelles nécessaires à la technologie, comme le lithium, le silicium et bien d’autres, ne sont certes pas illimitées, mais le plus grand problème est l’idéologie qui sous-tend une obsession : accroître au-delà de l’imaginable le pouvoir de l’homme, face auquel la réalité non humaine est une simple ressource à son service. Tout ce qui existe cesse d’être un don qu’il faut apprécier, valoriser et protéger, et devient l’esclave, la victime de tous les caprices de l’esprit humain et de ses capacités ».
Ce qui pose une question de pouvoir : (23) « il est effrayant de constater que les capacités accrues de la technologie donnent « à ceux qui ont la connaissance, et surtout le pouvoir économique d’en faire usage, une emprise impressionnante sur l’ensemble de l’humanité et sur le monde entier. Jamais l’humanité n’a eu autant de pouvoir sur elle-même et rien ne garantit qu’elle s’en servira bien, surtout si l’on considère la manière dont elle est en train de l’utiliser […]. En quelles mains se trouve et pourrait se trouver tant de pouvoir ? Il est terriblement risqué qu’il réside en une petite partie de l’humanité ». La remarque sur ce pouvoir de l’humanité est bien sûr tout à fait fondée, mais notons à nouveau, comme pour les ‘puissances’ économiques, cette tendance à mettre toute la responsabilité sur les seuls puissants.
Il faut donc, poursuit-il, « repenser notre usage du pouvoir ». (24) « Toute augmentation de pouvoir n’est pas forcément un progrès pour l’humanité ». Mais c’est un risque toujours présent, car « l’immense progrès technologique n’a pas été accompagné d’un développement de l’être humain en responsabilité, en valeurs, en conscience […]. L’homme est nu, exposé à son propre pouvoir toujours grandissant, sans avoir les éléments pour le contrôler. Il peut disposer de mécanismes superficiels, mais nous pouvons affirmer qu’il lui manque aujourd’hui une éthique solide, une culture et une spiritualité qui le limitent réellement et le contiennent dans une abnégation lucide ». Et (25) « contrairement à ce paradigme technocratique, nous affirmons que le monde qui nous entoure n’est pas un objet d’exploitation, d’utilisation débridée, d’ambitions illimitées. Nous ne pouvons même pas dire que la nature serait un simple ‘cadre’ où nous développerions nos vies et nos projets, car ‘nous sommes inclus en elle, nous en sommes une partie, et nous sommes enchevêtrés avec elle’ ». (28) « Nous avons fait des progrès technologiques impressionnants et stupéfiants, et nous ne nous rendons pas compte que, dans le même temps, nous sommes devenus extrêmement dangereux, capables de mettre en danger la vie de beaucoup d’êtres ainsi que notre propre survie ». Diagnostic peu contestable.
Mais on retombe alors dans l’unilatéralité de l’accusation : (29) « La décadence éthique du pouvoir réel est déguisée par le marketing et les fausses informations, qui sont des mécanismes utiles aux mains de ceux qui disposent de plus de ressources afin d’influencer l’opinion publique » (un exemple en est donné au 30). (31) « La logique du profit maximum au moindre coût, déguisée en rationalité, en progrès et en promesses illusoires, rend impossible tout souci sincère de la Maison commune et toute préoccupation pour la promotion des laissés-pour-compte de la société ».
Ce qui reflète évidemment une réalité ; mais pas toute la réalité. Car le paradigme technocratique en question est aussi populaire : il sert bien souvent à améliorer réellement le niveau de vie des gens ; peut-être de façon illusoire sur la durée, mais néanmoins réelle au moins pendant un temps. Ce qui explique que dans la résistance aux mesures écologiques, on trouve très souvent des forces populaires, et ce n’est pas, ou pas seulement, parce qu’elles seraient manipulées. Il est dommage d’occulter ce fait pour accabler les seuls ‘puissants’, même si ces derniers ont évidemment une responsabilité majeure.
Sous un autre angle il est dommage de ne présenter la technologie que sous l’angle négatif d’une certaine idéologie, alors qu’elle est un élément essentiel de notre futur : si on veut sortir des gaz à effet de serre, il faut de la technologie car nous avons besoin d’énergie et les énergies dites renouvelables ne suffiront pas, dans leur état actuel au moins.
La faiblesse de la politique internationale et les Conférences sur le climat
Le pape analyse ensuite ce qui a été fait et pourrait être fait à ce niveau. Il en appelle à (35) « ‘des organisations mondiales plus efficaces, dotées d’autorité pour assurer le bien commun mondial, l’éradication de la faim et de la misère ainsi qu’une réelle défense des droits humains fondamentaux’. » Suit une analyse des COP successives et de celle à venir, la COP28 de Dubaï. Là aussi, dit-il (52) « les accords n’ont été que peu mis en œuvre parce qu’aucun mécanisme adéquat de contrôle, de révision périodique et de sanction en cas de manquement, n’a été établi. ». Et donc (59) « si l’on veut sincèrement que la COP28 soit historique, qu’elle nous honore et nous ennoblisse en tant qu’êtres humains, on ne peut qu’attendre des formes contraignantes de transition énergétique qui présentent trois caractéristiques : efficaces, contraignantes et facilement contrôlables ». On peut douter que cela soit réaliste, mais la demande peut se comprendre.
Par ailleurs, et de façon caractéristique dans la ligne des remarques précédentes, le pape ajoute (38) que « à moyen terme, la mondialisation favorise les échanges culturels spontanés, une plus grande connaissance mutuelle et des chemins d’intégration des populations qui finissent par conduire à un multilatéralisme ‘d’en bas’ et pas seulement décidé par les élites du pouvoir ». « On peut espérer qu’il en sera ainsi concernant la crise climatique ». (43) « Dans ce cadre, des espaces de conversation, de consultation, d’arbitrage, de résolution des conflits et de supervision sont nécessaires, bref, une sorte de plus grande ‘démocratisation’ dans la sphère mondiale pour exprimer et intégrer les différentes situations ». A nouveau la base, le bon peuple est innocenté, et vu comme source de progrès, tandis que tout le mal vient d’en-haut. Ce qui, admettons-le, est quelque peu naïf. Même tendance d’ailleurs au (71) « l’effort des ménages pour polluer moins, réduire les déchets, consommer avec retenue, crée une nouvelle culture. Ce seul fait de modifier les habitudes personnelles, familiales et communautaires nourrit l’inquiétude face aux responsabilités non prises des secteurs politiques et l’indignation face au désintérêt des puissants ».
Les motivations spirituelles
Elles n’apparaissent qu’à la fin, en outre sans être spécifiquement chrétiennes : (61) « je ne veux pas manquer de rappeler aux fidèles catholiques les motivations qui naissent de leur foi. J’encourage les frères et sœurs des autres religions à faire de même, car nous savons que la foi authentique donne non seulement des forces au cœur humain, mais qu’elle transforme toute la vie, transfigure les objectifs personnels, éclaire la relation avec les autres et les liens avec toute la création ». On n’insistera pas sur cette tendance à mettre toutes les religions sur le même plan, sur lequel il y aurait beaucoup à dire, mais ce n’est pas le sujet.
Rappelant au 62 et 63 les fondements bibliques de notre responsabilité envers la terre, le pape souligne en revanche de façon pertinente (67) que « la vision judéo-chrétienne du cosmos défend la valeur particulière et centrale de l’être humain au milieu du concert merveilleux de tous les êtres, mais aujourd’hui nous sommes obligés de reconnaître que seul un ‘anthropocentrisme situé’ est possible. Autrement dit, reconnaître que la vie humaine est incompréhensible et insoutenable sans les autres créatures ». Car (68) « Dieu nous a unis si étroitement au monde qui nous entoure, que la désertification du sol est comme une maladie pour chacun ; et nous pouvons nous lamenter sur l’extinction d’une espèce comme si elle était une mutilation ». « Ainsi, nous mettons fin à l’idée d’un être humain autonome, tout-puissant et illimité, et nous nous repensons pour nous comprendre d’une manière plus humble et plus riche ».
En définitive (70) « ce qui compte est une chose moins quantitative : rappeler qu’il n’y a pas de changement durable sans changement culturel, sans maturation du mode de vie et des convictions des sociétés, et il n’y a pas de changement culturel sans changement chez les personnes ». Et surtout (73) « ‘Louez Dieu’ est le nom de cette lettre. Parce qu’un être humain qui prétend prendre la place de Dieu devient le pire danger pour lui-même ».
Tout cela est incontestable.
En conclusion
On l’a dit, le texte est d’abord un cri d’alerte, sans développement nouveau majeur. Plusieurs des thèmes favoris du pape Francois s’y retrouvent, notamment celui, stimulant, du ‘paradigme technocratique’. Mais aussi certaines de ses marottes et limites, comme on a pu le voir. C’est donc là, au-delà du cri d’alerte, plus un texte de confort et de rappel qu’un vrai développement de la pensée, qui eût été pourtant utile sur plusieurs points.