samedi 27 février 2010
Les Chrétiens et l’Argent : pour aborder de face la question. Petite introduction à notre "L’Evangile, les Chrétiens et l’Argent"
Avec des extraits du livre
Le monde de l’argent, celui de la richesse et de la vie économique, est-il par nature l’ennemi du chrétien ? Doit-il se méfier de ce qui pourrait le compromettre avec la création de richesse, qui serait par nature suspecte ? Faut-il qu’il se rachète de ses biens en acceptant une redistribution fiscale massive, un Etat social-démocrate envahissant ? Ou doit-il au contraire s’accommoder de la réalité ambiante, et organiser sa vie en découplant l’activité professionnelle et sociale de sa foi ? Certainement pas. Il est même prioritaire de sortir de ces blocages. Toute la Bible nous le dit : la richesse est un don de Dieu, à utiliser dans Son sens ; sachant que ce peut être une immense tentation. Un exercice salutaire est ici pour nous la relecture de l’Evangile, prolongée par celle des grandes encycliques.
Le langage de la vie économique, au cœur de l’Evangile
Il y a un paradoxe dans l’Ecriture qu’on a peu souvent relevé. Jésus, qui annonce un royaume qui n’est pas de ce monde, qui n’a pas de mots assez durs pour dénoncer l’emprise de la richesse matérielle, la fascination exercé par l’argent, est sans doute de toute la Bible celui qui utilise le plus les comparaisons tirées de la vie économique et financière. Pensons à la parabole des talents, aux ouvriers de la onzième heure, à celui qui cherche un trésor dans un champ ou une perle rare, à l’intendant infidèle etc : toutes ces paraboles reposent sur des raisonnements courants de la vie économique : investissements, arbitrages, contrats, négociations. Bien sûr leur enseignement principal va bien au delà, et relève du spirituel. Mais est-il indifférent que notre Sauveur, voulant enseigner les foules, utilise de façon répétée, plus que tout le reste de la Bible et a fortiori que tout autre enseignement spirituel, les réalités de base de l’économie ? N’affirme-t-il pas là leur caractère d’évidence naturelle, de réalités, humbles certes mais immédiates dans notre horizon de réflexion, et par là à leur façon légitimes ?
Simultanément, comment ne pas voir comment ce raisonnement économique, porté par Jésus au bout de sa logique, conduit à un paradoxe : si vous voulez investir dans ce qui a vraiment une valeur durable, ce ne peut être que dans ce qui dépasse infiniment toute autre réalité, et donc dans la vie éternelle, la vie infinie en Dieu. En d’autres termes, totalement validée dans sa logique propre, la logique économique est poussée par le Christ à son dépassement radical. Le raisonnement rationnel lui-même nous conduit à choisir, entre les deux maîtres, Dieu et Mammon, celui seul qui a les clefs de la vie éternelle. Si donc la vie matérielle à son sens, plein, c’est entièrement subordonnée, en chacun de nous, à la perspective de l’autre monde.
La Doctrine sociale de l’Eglise
Sur cette base, nous pouvons avec plus de sûreté réfléchir sur ce qui doit nous guider dans le monde actuel, le premier consciemment dominé par l’économie. La Doctrine sociale de l’Eglise nous fournit ici les repères, et notamment son fondement, mis en évidence par Jean-Paul II : la personne humaine, sa capacité créatrice et sa responsabilité. Ce qui conduit à retrouver de nombreux thèmes chers à l’économie de marché. Oui, la libre action des personnes est en matière économique aussi, un bien et un devoir. Oui, la propriété privée en est l’instrument indispensable, qu’il faudrait généraliser plus que limiter. Oui la subsidiarité nous conduit à refouler l’Etat dans la seule sphère où il peut réellement contribuer, qui est celle du Bien commun de la société toute entière, et non l’intervention directe.
Mais en même temps, tout ceci n’a de finalité qu’en vue de l’homme, l’homme appelé à la vie éternelle. Ce qui a plusieurs conséquences concrètes. La propriété est donc ordonnée à la destination individuelle des biens : nous sommes responsables devant Dieu de l’usage libre de nos biens. Le marché n’est donc pas l’indice suprême de la valeur : ce n’est que le moyen de mesurer la valeur d’échange à un moment donné. L’Etat lui-même n’est donc qu’au service d’un Bien commun qui le dépasse infiniment. Etc.
Economie et société
Apparaît alors une position originale pour le chrétien : loin de renvoyer dos à dos libéralisme et socialisme au nom d’on ne sait quelle utopie, il reconnaît que ce qui fait le sens de la vie économique, c’est l’orientation donnée par chacun à son action. Préférant donc une économie de liberté, d’autonomie et d’entreprise, il ne saurait admettre l’arbitraire dans les orientations individuelles, comme le proclame la théorie libérale classique. Concrètement, nous sommes moralement responsables de nos biens. Nous n’avons pas à en rougir, mais nous devons les utiliser au mieux de nos possibilités.
S’agissant de la vie collective, ceci a des conséquences nombreuses, qu’on ne peut ici qu’esquisser. Sur la finance : les marchés financiers reflètent les valeurs fondamentales de la société qui les anime ; agissons donc pour influencer le comportement des entreprises dans lesquelles nous investissons dans un sens plus responsable. Sur l’égalité des revenus : ne faisons pas un fétiche de l’égalité en elle-même, et encore moins de la redistribution par l’impôt, munition pour les politiques et l’administration ; mais mettons au premier plan le souci préférentiel des vrais pauvres. Sur la mondialisation : œuvrons pour le développement certes, mais le développement c’est d’abord le travail et la production, pas la subvention. Sachons accepter (raisonnablement) l’ouverture de nos frontières aux exportateurs de ces pays. Mais ne subventionnons pas les matières premières et donc les rentiers. Réduisons la dette de ceux qui ne peuvent pas l’assumer. Mais rappelons que ce qu’on a promis, on doit le tenir. Mêmes considérations en matière sociale. Ainsi des retraites : la première solidarité, c’est celle des générations. Pour cela il faut qu’il y ait demain des gens pour l’assumer. Priorité donc, dans le paiement des retraites, aux familles qui ont élevé les enfants, futurs actifs qui honorent la retraite des autres. Etc…
La responsabilité personnelle
C’est cependant d’abord en nous qu’est la responsabilité première de la réalité économique. Chacun selon l’appel qu’il reçoit de Dieu, qui prend d’abord la forme du devoir d’état. C’est à la fois un choix majeur, et une des responsabilités essentielles que nous avons à assumer en toute conscience, sans culpabilisation indue. Car si ce que nous faisons de nos biens matériels est l’une des dimensions principales de notre vie collective, de notre comportement envers nos frères, ce n’est qu’une figure transitoire, comme tout ce qui est de ce monde. Le royaume de Dieu se crée petit à petit dans chacune de nos actions ; mais ce n’est pas en ce monde, par le fait même de l’activité humaine, économique en particulier : c’est dans la signification de chaque acte aux yeux de Dieu. L’économie n’est qu’un domaine auxiliaire, une aide pour la réalisation de ce qui la dépasse infiniment.
Alors, que faire concrètement ? D’abord prier, et prendre pleine conscience de notre position, de ce que demande notre devoir d’état : notre famille, notre rôle dans la société. Puis donner à ceux que la Providence a mis sur notre chemin. Combien ? Au minimum à mon sens, la dîme, d’origine biblique et longtemps pratique commune de la chrétienté, soit 10% de nos revenus (après impôts) : une hygiène de départ. Au delà, c’est notre responsabilité : donner et donc aider ? investir et créer des emplois ? favoriser la création, la recherche, le savoir ou les arts ? A chacun de voir ce que la Providence attend de lui…
Janvier 2004
(Publié initalement dans l’Homme nouveau)